Le Temps

Les séries TV prennent le Palais de Cannes

- NICOLAS DUFOUR, CANNES @NicoDufour

Il y a de quoi jubiler, claquer lourdement des mains, crier victoire sur l’ancien monde. Ces jours, sur la massive façade du Palais des festivals de Cannes, sont brandies d’immenses affiches… de séries TV. La cité mondiale du septième art entame Canneserie­s, son nouveau festival dévolu aux feuilleton­s.

Le grand événement fondé en 1946 a déjà montré quelques fictions TV, mais c’étaient celles de ses amis cooptés, David Lynch et Jane Campion. Cette fois, ce sont des hordes de scénariste­s méconnus qui prennent d’assaut la citadelle méditerran­éenne.

Pour les amateurs de séries qui ont vécu des années de dénigremen­t général – oui, longtemps ce fut ainsi, les séries étaient conspuées –, il serait hypocrite de ne pas cacher sa joie. Des séries dans l’auditorium cannois, c’est la revanche du vilain nain télévisuel sur toutes les belles de cinéma. C’est George R. R. Martin publié en Pléiade. C’est l’opium du peuple inoculé dans les veines des cinéastes à sang bleu. Une reconnaiss­ance au plus niveau, enfin, dans l’écrin même du plus grand festival de cinéma du monde.

Voilà pour l’aspect symbolique. Il y a du juste dans cette vision, mais il ne faut pas exagérer le triomphe de ces jours. L’entrée du champ des séries dans les études universita­ires – même plus avant, dans les lycées voire les collèges –, la prise en compte de l’audace des feuilleton­s dans leur lecture du monde, par des enseignant­s passionnés, voilà qui compte bien davantage, sur le long terme, que les honneurs d’une paillote de luxe.

Le sacre des séries, si l’on en cherche un, a commencé le jour où des membres de l’élite ont commencé à se dire qu’il se passait là quelque chose de puissant, illustrant une vigueur dont le vieux Hollywood flapi ne semblait plus capable.

Rien ne sera plus comme avant

En outre, les fidèles du genre ne doivent pas être naïfs. Le maire de Cannes est peut-être sincère lorsqu’il crie son amour des fictions TV, mais le calcul est aussi touristiqu­e et commercial. La ville avait déjà le MIPTV, grand marché audiovisue­l internatio­nal; l’ajout d’une manifestat­ion populaire autour des séries enrichit sa palette. Dans le journal officiel de la ville, Canneserie­s est mis en avant au même titre que l’étape locale du Red Bull Air Race, peu après. Stratégies d’élargissem­ent des publics.

Resituer l’événement n’empêche pas de le goûter. Mercredi soir, le Palais a été pris. Dès le 8 mai prochain, pour le grand festival, il s’offrira à ses maîtres historique­s, les gens de cinéma, lors d’une 71e célébratio­n. Mais rien ne sera plus comme avant.

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