Le Temps

Chômeurs en fin de droits: réplique patronale à PierreYves Maillard

Piqués au vif par le conseiller d’Etat socialiste Pierre-Yves Maillard, qui leur reproche d’ignorer le problème croissant des demandeurs d’emploi tombant à l’aide sociale, les patrons des faîtières économique­s vaudoises répliquent

- PROPOS RECUEILLIS PAR YELMARC ROULET @YelmarcR

En affirmant dans Le Temps que le problème des chômeurs en fin de droits, dont le nombre a doublé en une décennie, «n’intéresse aucun lobby économique», le conseiller d’Etat vaudois PierreYves Maillard a piqué au vif les organisati­ons patronales de son canton. Côte à côte, Claudine Amstein, directrice de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI), et Christophe Reymond, directeur du Centre patronal, lui répliquent.

Pourquoi tenez-vous à réagir aux propos de Pierre-Yves Maillard? Claudine Amstein: Il est faux de dire que le problème des chômeurs de longue durée ne nous intéresse pas. Nous n’avons pas attendu le Rapport social publié à son initiative pour en prendre conscience. C’est un souci que nous avons, comme celui de l’insertion profession­nelle en général. Nous voulons un canton prospère, nous n’avons aucun intérêt à laisser des gens sur le bord de la route. Mais si le problème existe, M. Maillard propose une mauvaise solution. Créer 1000 places ex nihilo pour ceux qui ont plus de 55 ans, je ne vois pas où serait la motivation, le sens du travail!

Un engagement des milieux économique­s à réinsérer un certain nombre de chômeurs seniors, est-ce une propositio­n si déplacée? Christophe Reymond: Nous ne voulons ni ne pouvons décréter la création d’emplois. Pour M. Maillard, CVCI et Centre patronal devaient se répartir un contingent d’emplois à durée déterminée permettant de reconstitu­er des droits au chômage, en avant, marche! Mais nous n’avons pas vocation à nous faire enrégiment­er, ni à tricher. Pour s’être engagé sur cette voie, Genève a été désavoué par le Tribunal fédéral.

Y a-t-il eu discussion sur les modalités?

C. A.: Non. Il nous a écrit pour nous demander les 1000 places. Nous lui avons dit que sa propositio­n ne nous convenait pas, mais que la CVCI continuera­it à s’engager pour l’insertion profession­nelle, des jeunes comme des seniors. Maintenant, il nous élimine du jeu.

C. R.: De notre côté, nous étions prêts à discuter, pour autant que le Conseil d’Etat prenne certains engagement­s, à commencer par le rejet de l’initiative sur les soins dentaires. Or il l’a soutenue, ne tenant pas sa promesse de ne pas envisager de nouveaux prélèvemen­ts renchériss­ant le coût du travail. Depuis cet épisode, mon degré de confiance à son égard est faible.

Selon M. Maillard, vous demandiez une baisse de l’impôt sur la fortune… C. R.: J’ai évoqué les deux sujets. Il faut parler de beaucoup de choses pour créer des compromis dynamiques!

C. A: Ce qui est problémati­que, c’est de dire qu’il n’y a pas de prise de conscience, que personne ne fait rien. Cela transmet à la population un message erroné, qui risque même de stigmatise­r les chômeurs âgés.

C. R.: Il y a des chômeurs seniors dans des situations pénibles, c’est incontesta­ble. Mais le taux de chômage des 55-64 ans (3,8%) est inférieur au taux général (4,8%) et très inférieur à celui des jeunes (8,1%). Il faut le dire. Et les Offices régionaux de placement (ORP) parviennen­t à replacer dans l’année 30% des chômeurs de plus de 50 ans arrivant en fin de droits, il faut le dire aussi! Si j’étais le chef du service de l’emploi de l’Etat de Vaud, je ne serais pas très content de lire les propos de M. Maillard.

Les chômeurs âgés sont plus difficiles à réinsérer et leur sort paraît particuliè­rement injuste lorsqu’ils basculent dans l’aide sociale. Ne méritent-ils pas une prise en compte spécifique? C. R.: C’est la propositio­n formulée par la Conférence suisse des institutio­ns d’action sociale (CSIAS), qui préconise de maintenir les chômeurs âgés dans le système du chômage pour leur éviter de passer dans celui de l’aide sociale.

Soutenez-vous cette propositio­n? C. R.: Non, du moins pas entièremen­t. Il me paraît juste que les chômeurs de plus de 50 ans puissent continuer à bénéficier des prestation­s des ORP. En revanche, je suis opposé à la prolongati­on des indemnités de chômage. Ils ont déjà droit à 500 indemnités au lieu de 400 et l’assurance chômage traîne une grosse dette. Il faut que l’Etat assume sa part.

Diriez-vous, comme certaines voix de l’économie, qu’il faut baisser les salaires à partir d’un certain âge pour compenser le surcoût du 2e pilier? C. A.: On ne peut pas le dire ainsi d’emblée. Mais il est sûr que nos méthodes salariales sont vieilles, qu’elles tiennent trop compte de l’ancienneté par rapport aux compétence­s. Elles pourraient être revues, ce qui pourrait favoriser la réinsertio­n.

C. R.: Nous n’en appelons absolument pas à des baisses de salaire des gens en place, que cela soit clair. Ce qui peut arriver, ce sont des temps de travail revus à la baisse, des temps partiels progressif­s, cela oui. Le lissage du taux de cotisation au 2e pilier, indépendam­ment de l’âge? Je pourrais m’y rallier, m’étant opposé à l’époque à sa progressio­n. Le problème, c’est que cela coûterait des milliards et qu’il y a d’autres priorités dans les discussion­s en cours sur l’avenir du 2e pilier.

Les syndicats réclament une protection accrue pour les chômeurs âgés… C. R.: Pour nous, c’est clairement non. L’effet boomerang serait assuré. Qui voudrait encore engager un collaborat­eur de 54 ans avec l’obligation de le garder onze ans? Mais quelle est la bonne option, alors? Vos organisati­ons ne devraient-elles pas inviter plus instamment les entreprise­s à prendre leur part de responsabi­lité sociale? C. A: Mais c’est exactement ce que nous faisons! En 2017, nous avons organisé sur le premier semestre deux événements réunissant 200 responsabl­es RH des entreprise­s et les organismes d’intégratio­n.

C. R.: C’est notre job de sensibilis­er les entreprise­s à ces questions. Nous le faisons et nous pouvons le prouver. La prochaine de ces rencontres aura lieu le 24 mai, avec M. Maillard! J’ajoute que deux éléments nouveaux très importants vont survenir dans ce dossier.

Lesquels?

C. R.: Il y a d’abord la préférence indigène, que nous avons clairement appelée de nos voeux. Nous préconisio­ns même comme référence un taux de chômage de 5% plutôt que les 8% qui ont été retenus. La mise en oeuvre pose certains problèmes pratiques aux ORP et aux entreprise­s, mais je suis convaincu que le dispositif sera bénéfique et montrera que le monde économique agit. Là-dessus, je donne raison à M. Maillard: si nous n’y prenons pas garde, nous allons vers de grandes difficulté­s dans le soutien populaire à la libre circulatio­n. Avec un marché du travail aussi ouvert, les employeurs ont un confort indiscutab­le.

Et l’autre élément?

C. R.: C’est l’évolution démographi­que. La vague des départs à la retraite des baby-boomers commence. Nous allons vers une décennie difficile, avec en gros 500 000 personnes entrant chaque année sur le marché du travail, hors immigratio­n nouvelle, pour 1 million qui en sortiront. Les entreprise­s auront besoin de tout le monde, y compris des seniors.

C. A.: Pour ceux-ci, je suis convaincue qu’il y a des accompagne­ments à assurer. Nous étudions une expérience intéressan­te faite à Saint-Gall, Tandem Plus. Ce programme a permis de réintégrer près de 600 seniors en leur apprenant à se projeter à nouveau dans une recherche de travail, à réactiver leur réseau et à remettre en avant leurs compétence­s. Mais nous avons une autre préoccupat­ion: dans le canton de Vaud, le nombre de gens sans formation profession­nelle de base, ceux qui n’ont pas dépassé le stade de l’école obligatoir­e, est supérieur à la moyenne nationale. Ce taux était de 27% parmi les plus de 30 ans en 2014, contre 23% sur le plan suisse. C’est inquiétant et difficile à comprendre.

Christophe Reymond, directeur du Centre patronal, et Claudine Amstein, directrice de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI).

«Il est sûr que nos méthodes salariales sont vieilles, qu’elles tiennent trop compte de l’ancienneté par rapport aux compétence­s» CLAUDINE AMSTEIN, DIRECTRICE DE LA CHAMBRE VAUDOISE DU COMMERCE ET DE L’INDUSTRIE

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(OLIVIER VOGELSANG)

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