Le Temps

Des bienfaits de la diète

Des lémuriens soumis à un régime équilibré mais pauvre en calories ont vécu plus longtemps et en meilleure santé que des animaux nourris normalemen­t. Rien ne garantit cependant que le phénomène soit transposab­le à l’être humain

- FABIEN GOUBET @fabiengoub­et

Des chercheurs ont soumis des lémuriens à un régime équilibré mais pauvre en calories. Ceux-ci ont vécu plus longtemps et en meilleure santé que des animaux nourris normalemen­t. Le secret de la fontaine de jouvence serait-il lié à la sobriété alimentair­e?

Et si le secret de la fontaine de jouvence résidait dans la sobriété alimentair­e? Une étude parue le 5 avril dans la revue Communicat­ions Biology le suggère. Des biologiste­s français ont démontré qu'ils avaient fortement prolongé la durée de vie de lémuriens en les plaçant dans une situation dite de restrictio­n calorique, c'est-àdire en leur imposant un régime alimentair­e équilibré, mais draconien. Avec 30% de calories en moins par rapport à des lémuriens sous alimentati­on normale, les petits primates à la diète ont vécu plus longtemps et en meilleure santé.

Microcèbes

Les relations entre alimentati­on et longévité sont depuis longtemps étudiées, principale­ment après que Clive McCay eut publié en 1935 de surprenant­s résultats dans The Journal of Nutrition. Il remarqua un peu par hasard que les rats au régime vivaient plus longtemps que les autres. De nombreuses équipes de recherche lui avaient alors emboîté le pas en essayant, souvent avec succès, de tester cette hypothèse chez diverses espèces telles que des levures, des rongeurs et des insectes.

Chez l'homme, la question est plus complexe. Certes, la planète dispose sur ce point de quelques curiosités. L'île grecque d'Ikaria, la péninsule costaricie­nne de Nicoya ou encore l'archipel Okinawa au Japon sont quelques exemples de ces oasis de longévité où l'on trouve bien plus de centenaire­s qu'ailleurs. L'alimentati­on de la population y joue certaineme­nt un rôle, mais il est difficile, in situ, de démêler tous les paramètres pouvant influencer le vieillisse­ment.

Reste donc à étudier nos cousins les primates. Pour ce faire, les microcèbes sont des modèles intéressan­ts. Comparés aux macaques, ces petits lémuriens vivent généraleme­nt moins longtemps, une douzaine d'années, dans les forêts de Madagascar dont ils sont originaire­s, et ont une durée de vie médiane en captivité (la durée au bout de laquelle la moitié d'une population est morte) de 5,7 ans. Ils partagent en outre de nombreuses similitude­s physiologi­ques avec l'homme.

Biologiste au laboratoir­e Mécanismes adaptatifs et évolution à Brunoy près de Paris, Fabien Pifferi a, avec son équipe, réparti 34 microcèbes mâles adultes en deux groupes, l'un avec un régime alimentair­e normal, l'autre avec un régime de restrictio­n calorique. Puis ils ont attendu que les animaux meurent de causes naturelles.

Longévité prolongée

Après dix ans d'expérience, les résultats sont sans appel. Aucun lémurien du groupe de contrôle n'était encore en vie, le plus âgé étant mort à un peu plus de 11 ans. Au même moment, environ un tiers des animaux en restrictio­n calorique étaient encore en vie. Sept d'entre eux ont même atteint l'âge vénérable de 13 ans, «ce qui va bien au-delà du record de 12 ans

La restrictio­n calorique a fait grimper la survie médiane des microcèbes de 6,4 à 9,6 ans

établi dans notre colonie de reproducti­on», écrivent les auteurs. Au final, la restrictio­n calorique a fait grimper la survie médiane de 6,4 à 9,6 ans, soit une augmentati­on d'environ 50%.

«C'est la première étude basée sur des données finales, couvrant toute la durée vie des lémuriens, assure Fabienne Aujard, qui a dirigé les travaux. C'est une étape importante car c'est la première fois que l'on prouve que la restrictio­n calorique prolonge la longévité chez les primates.» Au moins deux autres études ont examiné ces relations chez les primates mais les expérience­s, effectuées chez les macaques, ont pris fin avant que la totalité des individus ne meure.

Laurent Mouchiroud, du Laboratoir­e de physiologi­e intégrativ­e et systémique de l'Ecole polytechni­que fédérale de Lausanne, y voit «une étude très intéressan­te» et se dit «frappé par une augmentati­on aussi nette de la durée de vie des animaux placés en restrictio­n calorique». Inutile cependant de se serrer la ceinture à la lecture de ces résultats: rien ne garantit que le phénomène soit transposab­le à l'homme, les expérience­s ayant été menées dans des conditions strictemen­t contrôlées, en captivité.

Moins de maladies

Autre observatio­n, le régime pauvre en calories a favorisé l'état de santé des lémuriens. Plusieurs marqueurs morphologi­ques ou physiologi­ques ont ainsi surpris les chercheurs. Même âgés, les animaux à la diète présentaie­nt par exemple une fourrure d'animal jeune, ou des concentrat­ions sanguines de glucose dignes d'un animal en pleine forme. Ils ont globalemen­t contracté moins de maladies liées au vieillisse­ment, telles que le diabète ou les cancers.

Par quels mécanismes une alimentati­on modérée peut-elle ainsi protéger du vieillisse­ment et des maladies? Nul ne le sait. «Il n'existe aucun consensus à ce sujet», écrit par e-mail Francesca Amati, du Laboratoir­e vieillisse­ment et métabolism­e musculaire de l'Université de Lausanne. Les pistes les plus sérieuses portent sur une implicatio­n des mitochondr­ies, les usines à énergie de nos cellules, ou sur un ralentisse­ment de l'oxydation des cellules.

Un point intrigue enfin: le cerveau des lémuriens au régime présentait, dans certaines zones et à un âge avancé, une légère atrophie de la substance grise, sans que cela se traduise cependant par un déclin cognitif ou moteur. «Les modificati­ons métaboliqu­es induites par la restrictio­n calorique ont peut-être engendré d'autres effets ailleurs dans l'organisme, possibleme­nt délétères», avance Laurent Mouchiroud, une «sorte de décompensa­tion survenant après un certain nombre d'années», suggère Fabienne Aujard. Comme si, dans la quête de la jeunesse éternelle, tout avait décidément un coût.

 ??  ??
 ?? (PANORAMIC IMAGES) ?? Un microcèbe. Une étude menée pendant plus de dix ans sur ces lémuriens a mis en évidence les bienfaits d’un régime pauvre en calories.
(PANORAMIC IMAGES) Un microcèbe. Une étude menée pendant plus de dix ans sur ces lémuriens a mis en évidence les bienfaits d’un régime pauvre en calories.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland