Le Temps

Lula aux portes de la prison

La Cour suprême a rejeté la demande de maintien temporaire en liberté de l’ancien président, condamné en appel à 12 ans et 1 mois de prison. L’intéressé n’en survole pas moins les sondages à six mois de la présidenti­elle

- CHANTAL RAYES, SÃO PAULO

Lula pourrait se retrouver derrière les barreaux dans les jours qui viennent. Après plus de dix heures de débats, la Cour suprême a rejeté par six voix contre cinq la demande d’habeas corpus de l’ancien président brésilien, qui lui aurait permis d’attendre en liberté l’épuisement des recours contre sa condamnati­on à 12 ans de prison.

«Je n’y ai jamais cru.» Nous sommes encore en début de soirée, le mercredi 4 avril, et déjà la tendance s’esquisse à la Cour suprême du Brésil en faveur d’une imminente arrestatio­n de Luiz Inácio Lula da Silva, condamné en appel à 12 ans et 1 mois de prison pour corruption. L’ancien président (20032011) est accusé d’avoir reçu un triplex d’une entreprise de BTP en échange de contrats avec le groupe pétrolier semi-public Petrobras. Par six voix contre cinq, la cour a rejeté sa demande d’habeas corpus, qui lui aurait permis d’attendre en liberté l’épuisement des recours contre sa condamnati­on. Cela au nom d’une jurisprude­nce selon laquelle la peine doit commencer à être purgée dès la condamnati­on en appel, intervenue le 24 janvier.

Ainsi, Lula pourrait être incarcéré ces prochaines semaines, voire ces prochains jours. L’ex-syndicalis­te n’a pas voulu suivre jusqu’au bout ce jugement historique. A ses yeux, les dés étaient pipés depuis la destitutio­n par un coup de force de la droite, en 2016, de sa successeur Dilma Rousseff. «Ce putsch, s’ils l’ont fait, ce n’était pas pour me permettre de me porter de nouveau candidat», a-t-il confié à des militants découragés.

Et maintenant? Requiem pour Lula? Nul ne se risque à le prédire. Malgré sa condamnati­on, l’homme est toujours en tête des sondages pour la présidenti­elle d’octobre, avec 34 à 37% des intentions de vote. Virtuellem­ent inéligible, il pèsera néanmoins sur le scrutin. De nombreux Brésiliens se disent prêts à voter pour celui ou celle qu’il adouberait au cas où il serait formelleme­nt déclaré hors jeu.

Des années fastes

D’où vient donc cette résilience politique extraordin­aire? Le charisme de ce tribun hors pair et son origine humble n’expliquent pas tout. Sa cure d’opposition avec l’impeachmen­t de sa dauphine, remplacée par le très impopulair­e Michel Temer, a paradoxale­ment fait du bien à Lula. Et les Brésiliens se souviennen­t des années fastes de sa présidence, quand les plus humbles ont fait leur entrée dans le monde des consommate­urs comme dans les université­s. Les nantis n’ont pas eu davantage à se plaindre. «Ils n’ont jamais autant gagné d’argent que sous ma présidence», aime-t-il répéter. La corruption? Elle a certes éloigné une certaine classe moyenne qui constituai­t son assise historique et croyait dans le renouveau qu’incarnait autrefois sa formation, le Parti des travailleu­rs (PT). Mais l’intelligen­tsia lui reste largement acquise, de même que les couches populaires. «Ils sont tous pourris, alors autant voter pour celui qui en fait le plus pour le peuple», justifie une électrice.

Le premier grand scandale de l’ère Lula avait éclaté en 2005. Le PT, qui promettait de faire de la politique «autrement», est alors accusé d’acheter des voix au parlement. Puis vint la tentaculai­re affaire Petrobras de financemen­t occulte des partis à travers des contrats surfacturé­s par les fournisseu­rs du groupe pétrolier. Le scandale frappe de plein fouet le PT et ses anciens alliés. Mis en examen dans neuf affaires, en lien ou pas avec Petrobras, Lula, lui, se dit victime de juges tendancieu­x, accusés d’agir de concert avec la droite pour le bannir de la vie politique. Et le discours porte. Car si tous les grands partis sont impliqués, la justice opère à deux vitesses: exceptionn­ellement rapide envers l’ex-syndicalis­te, notoiremen­t lente – au point d’atteindre la prescripti­on dans le cas de certains délits – pour son principal adversaire, le Parti de la social-démocratie brésilienn­e (centre droit), qui a présidé le Brésil entre 1994 et 2002 et essuyé depuis quatre défaites électorale­s successive­s face au PT. «Lula a certes dû faire des bêtises, mais il sera probableme­nt le seul à payer», résume un diplomate.

Icône planétaire, Lula a quitté le pouvoir en 2010 auréolé de gloire (plus de 80% de popularité). Mais en quelques années, il est devenu l’homme à abattre. Lui, le premier ouvrier à accéder à la tête d’un Brésil inégalitai­re. Lui qui a incarné comme nul autre, à part peut-être Pelé, le soft power de son pays est désormais érigé «en source de tous les maux, en bouc émissaire, en ennemi à éliminer», écrit l’anthropolo­gue Luiz Eduardo Soares sur

«Ils sont tous pourris, alors autant voter pour celui qui en fait le plus pour le peuple» UNE ÉLECTRICE L’ancien président Lula mercredi devant son domicile.

le sentiment anti-PT qui s’est développé à l’ombre de la récession économique imputée à Dilma Rousseff. Un sentiment confinant désormais à la haine, dans un pays qui semble irrémédiab­lement divisé. Le ressentime­nt social n’y est pas étranger. José, un cadre croisé sur une manif réclamant l’incarcérat­ion de Lula, durcit le ton: «Il a pris de ma poche pour donner aux pauvres.» La crainte de la droite? Que le leader de gauche de 72 ans ne revienne au pouvoir du sang dans les yeux, puisque sa politique de conciliati­on avec les élites n’a pas empêché que son parti en soit chassé.

Sans son chef historique, le PT, usé par les «affaires», voit ses chances de revenir au pouvoir considérab­lement réduites. La relève n’est pas assurée dans le seul parti de masse du Brésil. Malgré trois défaites consécutiv­es (1989, 1994, 1998) dans sa marche vers le pouvoir, Lula a joui d’un leadership incontesté. Le potentiel électoral de Fernando Haddad, ex-maire de São Paulo, pressenti actuelleme­nt comme plan B, reste incertain.

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(PAULO WHITAKER/REUTERS)

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