Le Temps

Le gueux que je suis a monté les marches de Cannes

- NICOLAS DUFOUR, CANNES @NicoDufour

Bon, ce ne sont pas les vraies marches, ni la salle officielle. Mercredi soir, le festival Canneserie­s a commencé modestemen­t, dans un autre espace du Palais des festivals. Le glamour, ce sera pour samedi soir, première de La Vérité sur l’affaire Harry Quebert, avec Patrick Dempsey (Grey’s Anatomy).

Changement de couleur, aussi. La montée des marches du cinéma claque en rouge vif depuis toujours, les séries seront roses. «Pour marquer un décalage culturel», indique la présidente du festival, Fleur Pellerin, «et faire une allusion aux cultures populaires».

C’est bien cela. Le gueux que je suis, fan de séries, pose ses guêtres dans le saint des saints cannois. Vertige? Plutôt amusement, et l’impression de vivre un moment dans l’histoire du genre.

Dès l’entrée, une nuée d’hôtesses en blanc nous passent un bracelet rose, sésame du futur cocktail au Majestic – ce sera bouchées fines et ruée collective sur le bar, nimbé d’un jazz lointain.

Dans la salle, des notables locaux, des invités que l’on devine liés aux sponsors, quelques hères dans mon genre. La cérémonie d’ouverture est d’une simplicité qui honore le nouveau festival, loin des interminab­les pseudo-discussion­s narcissiqu­es du cinéma. Il y a bien moult autocélébr­ations, mais sans chichi. J’ai de la chance, ou bien j’ai été privilégié, je suis au deuxième rang. Je peux mesurer l’élan, plutôt sincère, du maire de la ville, David Lisnard, quand il fait part de son émotion à entamer cette nouvelle aventure pour «l’écosystème cannois» en matière d’audiovisue­l. Il réussit à ne citer que des séries HBO ou FX lorsqu’il est sollicité pour confier ses préférence­s, oubliant le partenaire majeur Canal+: c’est dire l’émotion.

«Versailles», souveraine ironie

Et que découvre-t-on pour cette ouverture historique? Délicieuse ironie dans le contexte du moment, les deux premiers chapitres de Versailles, l’ultime saison, la troisième. Claude Chelli, le producteur, dit sa tristesse et sa fierté à la fois pour l’une des séries françaises les plus vendues à l’étranger, laquelle reste aussi royale que tendue.

Voici donc Louis XIV qui a triomphé à la guerre, qui inaugure la galerie des Glaces, qui semble au sommet de son pouvoir. On dit à un invité: «Le roi a décrété que cette fête devait être le summum de la réussite française.» Ces paroles rebondisse­nt dans l’enceinte de la première édition de Canneserie­s.

Puis les difficulté­s s’accumulent, le peuple grogne, rechigne à payer les impôts malgré le nouvel éclairage public. «Paris est affaiblie par les privations», disent les conseiller­s au souverain. «Nous bâtissons une nouvelle France, un nouveau monde!» rétorquet-il. Dans un pays paralysé par les grèves des cheminots SNCF, des pilotes d’Air France, des éboueurs et des étudiants, les mots résonnent depuis le Palais où nous autres, les gueux, sommes entrés. Celui de Cannes.

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