Le maître de Budapest
Critiqué pour sa fermeté anti-migrants et son régime autoritaire, le premier ministre hongrois devrait facilement conquérir un troisième mandat consécutif aux législatives de dimanche. Portrait
Le premier ministre Viktor Orban devrait conquérir un troisième mandat consécutif aux législatives de dimanche. Portrait d’un leader populiste critiqué pour sa fermeté anti-migrants et son régime autoritaire.
Viktor Orban est un leader né. Lorsqu’il exigea le retrait des troupes soviétiques le 16 juin 1989 sur la place des Héros, sa voix était celle d’une jeunesse éprise de démocratie à l’occidentale et de liberté. Lorsqu’il devint l’un des plus jeunes chefs d’Etat d’Europe à 35 ans en 1998, il se voulait fer de lance d’une politique moderne chassant les ex-caciques communistes dépassés des arcanes du pouvoir. Et lorsqu’il revint aux affaires en 2010, Viktor Orban promit à la Hongrie de la remettre au centre de l’Europe.
Pari on ne peut plus réussi. En huit années de gouvernance, le dissident antisoviétique de jadis a soldé le crédit de 25 milliards de dollars contracté auprès du FMI par ses prédécesseurs sociaux-démocrates; fâché le continent quasi entier en limitant l’Etat de droit tout en encensant Poutine, Trump et Erdogan; mis Bruxelles au pied du mur avec sa clôture anti-migrants de 175 kilomètres érigée à la frontière serbe; réduit la dette de 6% tout en augmentant l’ensemble des salaires de 10% sur la période 2010-2018. Et il fonce désormais sans embûche vers un troisième mandat consécutif qui le maintiendrait au pouvoir jusqu’en 2022.
«Ivresse de la victoire»
L’oeuvre de sa vie s’appelle Fidesz, une congrégation de jeunes démocrates née en 1988 après de nombreux débats de dortoir dans la résidence universitaire Istvan Bibo sur les hauteurs de Budapest. L’énergie de Viktor Orban, alors barbu, impressionne le philanthrope George Soros, qui finance le parti balbutiant transformé en bulldozer politique inspiré des tories britanniques, des Républicains français et des conservateurs bavarois. Trente ans plus tard, Viktor Orban, juriste de formation, mène une guerre électoraliste à son mécène d’antan, accusé d’encourager l’immigration illégale et de vouloir renverser l’exécutif via les ONG qu’il soutient.
Une propension au conflit a toujours animé le natif de Szekesfehervar, une petite ville de l’ouest. «Viktor tapait du poing sur la table pour imposer ses idées et j’ai même dû le réprimander lors d’un débat car il se montrait trop agressif, se souvient son ancien professeur de sciences politiques Laszlo Kéri, interrogé par le Financial Times. Mais ce qui me bluffait, c’était l’aura qu’il avait sur les jeunes de sa génération. Aujourd’hui, il séduit en endossant le rôle de défenseur de l’infime Hongrie contre Bruxelles et les soi-disant hordes de musulmans prêtes à engloutir le pays.»
Réussite économique
Le bouclier Orban isole son pays et confisque l’économie à rebours de ses idéaux libéraux d’étudiant. Résultat? Un capitalisme de connivence enrichissant son copain d’enfance Lorinc Meszaros passé de chauffagiste à milliardaire, son gendre Istvan Tiborcz qui a enchaîné les contrats d’éclairage public dans des villes proches du régime avec l’argent de l’UE et le producteur de blockbusters Andy Vajna propulsé à la tête du fonds cinématographique hongrois, puis d’un puissant groupe de télévision privée. Chômage bas (3,8%) et croissance insolente (3-4% par an) consolident la popularité du système.
Père de cinq enfants, Orban agit tel un chef de clan, favorisant naturellement les siens quitte à entretenir une oligarchie à la russe. «Viktor Orban incarne l’alpha et l’oméga d’un régime tentaculaire dont il a conçu l’architecture par l’intermédiaire de cette prodigieuse prouesse politique qu’est le Fidesz», souligne son biographe Jozsef Debreceni, auteur d’un récent livre sur le dirigeant magyar qu’il compare volontiers à Vladimir Poutine. «L’ivresse et l’arrogance de la victoire, qui se lit sur son visage, lui procurent un immense plaisir. Le pouvoir en soi le motive autant que sa conquête et sa conservation.»
Populiste à poigne
S’il ne s’adonne pas au bourrage d’urnes avéré, le chantre de l’illibéralisme épouse les valeurs traditionnelles et le patriotisme chers au maître du Kremlin, qu’il rencontre régulièrement. Pour Viktor, ainsi que l’appellent ses fans, la Hongrie «est numéro un» – dixit son slogan de campagne. La famille et le travail irriguent ses discours écoutés religieusement comme lors de la fête nationale du 15 mars où il s’en est pris aux réfugiés, aux ONG, à Soros et à l’Europe sur fond de rhétorique martiale.
Populiste à poigne, le pilier du groupe eurosceptique de Visegrad, qui comprend aussi la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie, venge aussi ses injustices de jeunesse. «Orban ne s’est jamais vraiment senti accepté par l’intelligentsia budapestoise et une partie de sa personnalité politique s’est forgée sur ce rejet. Viktor ne s’est jamais laissé dominer ou même influencer. Il était risquetout, courageux et intègre à l’armée comme à l’université. Si Orban hait quelqu’un, ce ne sont en aucun cas les juifs mais les élites libérales qui l’ont toujours regardé de haut car provincial», explique son vieux camarade de fac de droit Gabor Fodor, dirigeant aujourd’hui un petit parti centriste.
Crédité d’environ 40% des suffrages selon l’ensemble des sondages, Viktor Orban, le passionné de football, sait pertinemment qu’une partie n’est jamais totalement terminée avant l’ultime coup de sifflet final. Mais seule une miraculeuse alliance de dernière minute entre les ultranationalistes du Jobbik et les socialistes, distancés chacun de vingt points, serait en mesure de bousculer le nouveau sacre annoncé.
«Si Orban hait quelqu’un, ce ne sont pas les juifs mais les élites libérales qui l’ont toujours regardé de haut»
GABOR FODOR, ANCIEN CAMARADE DE FACULTÉ DU PRÉSIDENT HONGROIS