Le Temps

«Il est soutenu par la frange la plus dure des conservate­urs européens»

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Pour l’ancien commissair­e européen hongrois Laszlo Andor, la confrontat­ion entre Viktor Orban et Bruxelles a déclenché la vague europhobe en Europe centrale

La décision en dit long sur la volonté de Viktor Orban de se différenci­er de ses pairs européens. Lors du lancement, fin février, à l’initiative d’Emmanuel Macron, de prochaines consultati­ons «citoyennes» à travers les 27 pays membres, le premier ministre hongrois a été le seul à se prononcer contre et à refuser de les organiser. Pas question, pour l’homme fort de Budapest favori pour sa réélection ce dimanche, d’accepter que des débats populaires sur l’intégratio­n communauta­ire aient lieu dans son pays, avec l’appui du gouverneme­nt. De cette «dissidence» anti-Bruxelles il a fait sa meilleure arme politique, selon l’ancien commissair­e européen hongrois à l’emploi Laszlo Andor (2009-2014), coauteur d’un rapport de l’Institut Jacques Delors sur l’Etat de droit en Europe centrale.

Depuis son retour au pouvoir en 2010, Viktor Orban a-t-il acquis une stature de leader régional «europhobe»? Orban est devenu un modèle pour tous ceux qui, en Europe centrale, prônent une confrontat­ion avec l’Union européenne, et une remise en cause des valeurs communauta­ires comme l’Etat de droit. Cela va bien au-delà des déclaratio­ns. Grâce à son talent de stratège mais aussi de manipulate­ur, Viktor Orban a ouvert la voie à une attitude redoutable: celle de l’affronteme­nt public avec Bruxelles pour obtenir le maximum d’écho, doublé d’arrangemen­ts en coulisses pour éviter les sanctions. L’axe qui fait le plus mal à l’Union, dans cette partie du continent, est celui qui relie Orban à Jaroslaw Kaczynski, le mentor du parti polonais Droit et justice au pouvoir à Varsovie. Ces deux-là ont constitué une ligue anti-UE en s’appuyant sur la colère et les frustratio­ns populaires engendrées par des propositio­ns bruxellois­es impopulair­es, comme l’imposition de quotas de migrants aux pays membres.

Les eurodéputé­s du Fidesz, le parti de Viktor Orban, siègent au sein du Parti populaire européen (PPE), la formation conservatr­ice qui regroupe la CDU d’Angela Merkel ou Les Républicai­ns français. C’est un problème? Cela témoigne des

LASZLO ANDOR ANCIEN COMMISSAIR­E EUROPÉEN «La question de l’immigratio­n a rendu le débat impossible. L’hystérie s’est installée»

alliances que Viktor Orban a su nouer. Au sein du PPE, les eurodéputé­s bavarois de la CSU sont tous pro-Orban. On oublie souvent que d’importante­s entreprise­s bavaroises, comme le constructe­ur automobile Audi, sont très implantées en Hongrie. Je l’ai dit plusieurs fois: Orban est protégé. Il défie ouvertemen­t les valeurs de l’UE, mais on lui permet de le faire. Il profite en plus du soutien implicite de la frange la plus dure des conservate­urs européens comme Berlusconi en Italie, Rajoy en Espagne ou Borissov en Bulgarie. C’est ce qui explique aussi sa longévité politique.

Son talent politique, à vous écouter, est remarquabl­e… Orban est un manipulate­ur exceptionn­el. Il n’a aucun état d’âme. Il a par exemple, depuis 2010, complèteme­nt décapité la diplomatie hongroise en installant partout des hommes à lui, fidèles à son parti et à sa ligne de confrontat­ion avec l’UE. En même temps, il sait, lors des sommets européens, comment éviter la foudre ou comment créer des diversions. La manière dont il a exploité sans vergogne la crise des migrants en 2016 est emblématiq­ue. Les Hongrois, dans leur grande majorité, ne sont pas anti-européens. Ils se vivent comme des Européens à part entière et ne voient pas la Commission de Bruxelles comme un danger. L’idée des quotas de migrants a en revanche engendré un incendie populiste. Cette question de l’immigratio­n a rendu le débat impossible. L’hystérie s’est installée. Toute la campagne d’Orban pour sa réélection est focalisée là-dessus.

L’extrême droite a intégré le gouverneme­nt en Autriche. Une victoire de plus pour Viktor Orban, qui doit lui-même se distinguer du parti Jobbik? Je ne crois pas que l’on puisse comparer l’Autriche à la Hongrie. Sur la question des migrants, il y a unité de vue entre l’extrême droite autrichien­ne et Viktor Orban mais sur la plupart des autres sujets européens, en particulie­r économique, Vienne ne s’oppose pas à Bruxelles. Et je ne crois pas que l’actuel gouverneme­nt va commencer à le faire. En ce qui concerne Jobbik, la question s’est renversée. Ce parti, autrefois absolument europhobe, est devenu plus conciliant envers l’UE. Viktor Orban ne supporte pas qu’un des oligarques dont il était le plus proche, Lajos Simicska, soutienne maintenant ce parti rival. La lutte est au couteau entre le Fidesz et Jobbik. Et cela va continuer. A lire: «Pays de Visegrad et Etat de droit» (www.institutde­lors.eu)

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland