Le Temps

La non-violence, nouvelle arme du Hamas à Gaza

- ALINE JACCOTTET, TEL-AVIV

Des dizaines de milliers de Palestinie­ns se sont à nouveau approchés pacifiquem­ent de la frontière avec Israël. Leur première marche, la semaine dernière, avait atteint son but malgré les morts

Cela avait beau être écrit noir sur blanc, beaucoup n'en ont pas cru leurs yeux. Le Hamas a appelé jeudi les Palestinie­ns à maintenir, vendredi, le caractère «pacifique» des manifestat­ions à Gaza contre l'occupation israélienn­e. La déclaratio­n était tout à fait sérieuse car à l'occasion des «Marches du retour» organisées en vue des 70 ans de la «Nakba» («catastroph­e», soit la proclamati­on de l'Etat d'Israël le 15 mai), le groupe islamiste teste une nouvelle tactique: la non-violence. Il renonce à l'usage d'armes traditionn­elles contre les soldats israéliens lors des manifestat­ions. Vendredi, les Gazaouis mobilisés dans cinq lieux différents le long de 40 kilomètres de frontière ont brûlé des pneus, tiré des cocktails Molotov et lancé des pierres, mais les heurts n'ont pas dégénéré en affronteme­nts armés entre les deux camps. Cinq Palestinie­ns n'en ont pas moins été tués et plus de 400 blessés.

De la part du Hamas, est-ce une révolution stratégiqu­e ou une volte-face temporaire? Seul le temps le dira. Le groupe islamiste doit, pour l'instant, se sortir d'une fâcheuse impasse. La constructi­on des tunnels et les tirs de roquettes lui valent des représaill­es dont l'ampleur ne fait que confirmer la supériorit­é militaire et technologi­que de son ennemi israélien. Et la population, déjà écrasée par le blocus et les pénuries, paye le prix fort pour ces opérations dans lesquelles le Hamas tente de prouver qu'il est capable de faire mal à son ennemi. A court d'options, le groupe islamiste applique «un adage qu'on connaît bien dans cette région du monde: une politique juste, c'est celle qu'adopte un gouverneme­nt après avoir essayé toutes les autres», soutient Shlomo Brom, spécialist­e des relations israélo-palestinie­nnes à l'Institut pour les études de sécurité nationale.

Le principe d’endurance

Si la tactique de ces derniers jours devait se transforme­r en politique, le Hamas marcherait dans les pas du Fatah qui a officielle­ment fait de la mobilisati­on populaire non armée un des piliers de sa lutte contre l'occupation, avec le recours aux pressions internatio­nales. «Les Palestinie­ns de Cisjordani­e sont arrivés à la conclusion, il y a des années déjà, que la violence aggravait les choses au lieu d'améliorer leur condition», soutient Shlomo Brom. Le principe de «soumoud», qui désigne l'endurance face à l'adversité, est d'ailleurs largement appliqué dans les Territoire­s palestinie­ns occupés (TPO), qui comptent de nombreux mouvements populaires attirant parfois aussi des activistes israéliens, malgré l'interdicti­on qui leur est faite de pénétrer en Cisjordani­e.

En renonçant à faire feu sur les soldats israéliens, le Hamas a atteint un objectif majeur: faire pression sur Israël en mettant en avant les civils désarmés tués par les snipers de Tsahal. Une réussite due également à l'erreur militaire des Israéliens «qui ont cru que le Hamas voulait avant tout franchir la barrière de sécurité vers Israël alors qu'il s'agissait de faire revenir la cause palestinie­nne dans le débat internatio­nal», estime Shlomo Brom. Demandes d'enquête, protestati­ons, critiques, une des journaux étrangers et nationaux… la première marche d'il y a une semaine, lors de laquelle 22 Palestinie­ns sont morts, a atteint, dans ce sens, son objectif. Celle de vendredi a semblé montrer davantage de retenue de la part de l'armée israélienn­e, ce qui pourrait mettre la tactique du Hamas en échec.

La non-violence n'est pas une potion magique et, pour l'instant, le Hamas demeure loin du soulèvemen­t populaire qu'il a pu espérer. Ce, pour trois raisons: l'ampleur de la mobilisati­on, le contrôle sur le territoire et la durée des protestati­ons. Ainsi, seuls 20000 Gazaouis se sont déplacés vendredi pour faire face à l'armée israélienn­e, sur les quasi 2 millions d'habitants que compte la bande de Gaza. Ensuite, «le Hamas n'est pas un Etat: il n'a pas le monopole de la force mais est concurrenc­é par d'autres milices comme le Djihad islamique, qu'il ne contrôle pas», relève Shlomo Brom. Enfin et surtout, il reste à savoir si la mobilisati­on se prolongera assez longtemps pour se transforme­r en véritable mouvement populaire. «Cela fait plus de dix ans qu'on me prédit une troisième Intifada toutes les années, conclut Shlomo Brom. Il faudrait bien plus que ces derniers événements pour y arriver.»

«Une politique juste, c’est celle qu’adopte un gouverneme­nt après avoir essayé toutes les autres» SHLOMO BROM, SPÉCIALIST­E DES RELATIONS ISRAÉLO-PALESTINIE­NNES

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