Pour l’international, Genève peut mieux faire
La fin de la législature est l’occasion de faire le point sur l’action des autorités cantonales et de tirer un premier bilan de la concentration des activités de la Genève internationale au sein d’un seul département
Palais des Nations, Organisation mondiale de la santé, Bureau international du travail. Ces institutions pourtant très genevoises paraissent éloignées des enjeux des élections cantonales du 15 avril et du 6 mai. Les candidats PLR et socialiste au Grand Conseil Vincent Subilia et Grégoire Carasso promettent toutefois de promouvoir la Genève internationale au sein du parlement genevois tout en reconnaissant que ce n’est pas un argument de campagne qui fait le poids face aux questions de logement ou de primes maladie. La Genève internationale (GI) s’imposerait-elle d’elle-même?
Un seul interlocuteur
A l’échelle politique, la concentration des questions liées à la GI en un département dirigé par un président en place pour toute la législature, le libéral-radical François Longchamp, a facilité les contacts avec les Nations unies, la Confédération, les Etats présents à Genève, voire avec les ONG. «C’était un signal fort d’un véritable engagement pérenne du canton au plus haut niveau», relève Vincent Subilia, directeur général adjoint de la Chambre de commerce. Ex-présidente de l’Appel de Genève, Elisabeth Decrey-Warner s’en félicite aussi. En tant que présidente du Grand Conseil, au début des années 2000, elle avait proposé de créer un département de la Genève internationale pour mettre fin à un grand éparpillement, mais les députés n’étaient visiblement pas prêts à l’entendre.
Au parlement cantonal, il existe un large consensus en faveur de la Genève internationale, même si l’extrême gauche et l’UDC manifestent souvent leur opposition. Deux prêts cantonaux – de 60 millions pour la rénovation du Palais des Nations et de 29,6 millions pour le nouveau bâtiment de l’OMS – ont ainsi été approuvés à l’unanimité. Tant Vincent Subilia que Grégoire Carasso se sont personnellement investis pour inciter les Genevois à refuser, en 2009, le référendum contre l’extension de l’OMC, une organisation phare de Genève. «Ce fut un signal fort pour la suite», relève le socialiste. Le président du Conseil d’Etat lui-même le souligne: «L’opposition est à vrai dire surtout venue du parlement fédéral. Contre un large front commun, l’UDC s’est opposée au projet de rénovation du CICR.»
La coordination stratégique entre une Confédération qui a fait de la GI un pilier de sa politique étrangère et le canton de Genève s’est sensiblement améliorée. Par le passé, le climat de travail était parfois tendu. On se souvient notamment des violents échanges entre le conseiller fédéral Pascal Couchepin et le conseiller d’Etat Laurent Moutinot au moment du sommet du G8 d’Evian en 2003.
L’opérationnel est moins convaincant
Au niveau opérationnel, l’action du canton est moins convaincante. La coordination des services dédiés à la Genève internationale «laisse à désirer. Ça va dans tous les sens», relève une source proche du dossier. S’il est question de projets de réforme, «chaque responsable tire la couverture à soi». Il y a bien un délégué à la Genève internationale, Olivier Coutau, explique cette même source, mais «il n’a pas les moyens à disposition, ni le pouvoir de trancher sur plusieurs dossiers. Comme le président du Conseil d’Etat ne peut pas s’occuper de tout, il est essentiel d’avoir un Monsieur ou une Madame Genève internationale qui ait une vision globale, un vrai poids politique et qui soit capable de mettre en oeuvre la vision du Conseil d’Etat.»
La Genève internationale est un écosystème qui tend à se renforcer. «Tous les signaux sont au vert», relève Olivier Coutau. Les organisations internationales, les ONG et les missions permanentes emploient 32000 personnes. La croissance des emplois est de 1 à 3% par an. Deux nouveaux Etats viennent d’installer une mission permanente, la Gambie et le Vanuatu, s’ajoutant aux 175 déjà présents. Les ONG sont au nombre de 380 et une trentaine d’autres s’établissent chaque année. La GI, ce sont aussi 1651 multinationales qui ont un rôle à jouer dans un contexte où le multilatéralisme s’élargit au secteur privé et à la société civile. Des pôles ont vu le jour dans la santé, la paix et le désarmement en collaboration avec les milieux académiques. Le canton s’est profilé dans la gouvernance de l’internet à travers les Geneva Digital Talks et la Geneva Internet Platform. Vincent Subilia et Grégoire Carasso sont unanimes pour dire que l’action de Michael Moeller, l’actuel directeur général de l’Office des Nations unies depuis 2013, a changé la donne. Il a transformé l’image de la GI et l’a rapprochée des Genevois.
Les menaces
La Genève internationale n’est toutefois pas à l’abri de menaces sur son avenir. Fondateur de l’association AGIR visant à promouvoir le rayonnement de la GI, Vincent Subilia le rappelle: «La votation du 9 février 2014 «contre l’immigration de masse» a provoqué un vrai casse-tête en termes d’octroi de permis de travail. Le résultat du vote au niveau suisse est par ailleurs contraire à l’esprit de Genève, capitale de la gouvernance mondiale dont l’ADN est nourri de son ouverture au monde.» La cherté de Genève et du franc suisse a aussi créé des sueurs froides.
François Longchamp rassure: «Ces inquiétudes ne se sont pas concrétisées. Une preuve? Des chantiers représentant plus de 3 milliards de francs d’investissements sont en cours. Il y a eu des offres de pays moyen-orientaux qui étaient prêts à prendre en charge les salaires des fonctionnaires internationaux. Personne n’a souhaité aller dans cette direction.» Quant à la compétitivité de Genève, le président du Conseil d’Etat est serein: «Genève a une capacité de réaction qu’aucune autre ville n’a. Nous pouvons organiser une rencontre diplomatique en quelques jours, mettre à disposition une salle publique ou un lieu plus privé. Quinze personnes travaillent en permanence pour le protocole.» Et Elisabeth Decrey-Warner d’ajouter: «Au fin fond du Soudan, on nous parle de la Genève internationale avec un sentiment de confiance. Les Genevois n’ont pas assez conscience du bijou dont ils disposent.»
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«Les Genevois n’ont pas assez conscience du bijou dont ils disposent»
ELISABETH DECREY-WARNER, EX-PRÉSIDENTE DE L’APPEL DE GENÈVE