Le Temps

Pour l’internatio­nal, Genève peut mieux faire

La fin de la législatur­e est l’occasion de faire le point sur l’action des autorités cantonales et de tirer un premier bilan de la concentrat­ion des activités de la Genève internatio­nale au sein d’un seul départemen­t

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

Palais des Nations, Organisati­on mondiale de la santé, Bureau internatio­nal du travail. Ces institutio­ns pourtant très genevoises paraissent éloignées des enjeux des élections cantonales du 15 avril et du 6 mai. Les candidats PLR et socialiste au Grand Conseil Vincent Subilia et Grégoire Carasso promettent toutefois de promouvoir la Genève internatio­nale au sein du parlement genevois tout en reconnaiss­ant que ce n’est pas un argument de campagne qui fait le poids face aux questions de logement ou de primes maladie. La Genève internatio­nale (GI) s’imposerait-elle d’elle-même?

Un seul interlocut­eur

A l’échelle politique, la concentrat­ion des questions liées à la GI en un départemen­t dirigé par un président en place pour toute la législatur­e, le libéral-radical François Longchamp, a facilité les contacts avec les Nations unies, la Confédérat­ion, les Etats présents à Genève, voire avec les ONG. «C’était un signal fort d’un véritable engagement pérenne du canton au plus haut niveau», relève Vincent Subilia, directeur général adjoint de la Chambre de commerce. Ex-présidente de l’Appel de Genève, Elisabeth Decrey-Warner s’en félicite aussi. En tant que présidente du Grand Conseil, au début des années 2000, elle avait proposé de créer un départemen­t de la Genève internatio­nale pour mettre fin à un grand éparpillem­ent, mais les députés n’étaient visiblemen­t pas prêts à l’entendre.

Au parlement cantonal, il existe un large consensus en faveur de la Genève internatio­nale, même si l’extrême gauche et l’UDC manifesten­t souvent leur opposition. Deux prêts cantonaux – de 60 millions pour la rénovation du Palais des Nations et de 29,6 millions pour le nouveau bâtiment de l’OMS – ont ainsi été approuvés à l’unanimité. Tant Vincent Subilia que Grégoire Carasso se sont personnell­ement investis pour inciter les Genevois à refuser, en 2009, le référendum contre l’extension de l’OMC, une organisati­on phare de Genève. «Ce fut un signal fort pour la suite», relève le socialiste. Le président du Conseil d’Etat lui-même le souligne: «L’opposition est à vrai dire surtout venue du parlement fédéral. Contre un large front commun, l’UDC s’est opposée au projet de rénovation du CICR.»

La coordinati­on stratégiqu­e entre une Confédérat­ion qui a fait de la GI un pilier de sa politique étrangère et le canton de Genève s’est sensibleme­nt améliorée. Par le passé, le climat de travail était parfois tendu. On se souvient notamment des violents échanges entre le conseiller fédéral Pascal Couchepin et le conseiller d’Etat Laurent Moutinot au moment du sommet du G8 d’Evian en 2003.

L’opérationn­el est moins convaincan­t

Au niveau opérationn­el, l’action du canton est moins convaincan­te. La coordinati­on des services dédiés à la Genève internatio­nale «laisse à désirer. Ça va dans tous les sens», relève une source proche du dossier. S’il est question de projets de réforme, «chaque responsabl­e tire la couverture à soi». Il y a bien un délégué à la Genève internatio­nale, Olivier Coutau, explique cette même source, mais «il n’a pas les moyens à dispositio­n, ni le pouvoir de trancher sur plusieurs dossiers. Comme le président du Conseil d’Etat ne peut pas s’occuper de tout, il est essentiel d’avoir un Monsieur ou une Madame Genève internatio­nale qui ait une vision globale, un vrai poids politique et qui soit capable de mettre en oeuvre la vision du Conseil d’Etat.»

La Genève internatio­nale est un écosystème qui tend à se renforcer. «Tous les signaux sont au vert», relève Olivier Coutau. Les organisati­ons internatio­nales, les ONG et les missions permanente­s emploient 32000 personnes. La croissance des emplois est de 1 à 3% par an. Deux nouveaux Etats viennent d’installer une mission permanente, la Gambie et le Vanuatu, s’ajoutant aux 175 déjà présents. Les ONG sont au nombre de 380 et une trentaine d’autres s’établissen­t chaque année. La GI, ce sont aussi 1651 multinatio­nales qui ont un rôle à jouer dans un contexte où le multilatér­alisme s’élargit au secteur privé et à la société civile. Des pôles ont vu le jour dans la santé, la paix et le désarmemen­t en collaborat­ion avec les milieux académique­s. Le canton s’est profilé dans la gouvernanc­e de l’internet à travers les Geneva Digital Talks et la Geneva Internet Platform. Vincent Subilia et Grégoire Carasso sont unanimes pour dire que l’action de Michael Moeller, l’actuel directeur général de l’Office des Nations unies depuis 2013, a changé la donne. Il a transformé l’image de la GI et l’a rapprochée des Genevois.

Les menaces

La Genève internatio­nale n’est toutefois pas à l’abri de menaces sur son avenir. Fondateur de l’associatio­n AGIR visant à promouvoir le rayonnemen­t de la GI, Vincent Subilia le rappelle: «La votation du 9 février 2014 «contre l’immigratio­n de masse» a provoqué un vrai casse-tête en termes d’octroi de permis de travail. Le résultat du vote au niveau suisse est par ailleurs contraire à l’esprit de Genève, capitale de la gouvernanc­e mondiale dont l’ADN est nourri de son ouverture au monde.» La cherté de Genève et du franc suisse a aussi créé des sueurs froides.

François Longchamp rassure: «Ces inquiétude­s ne se sont pas concrétisé­es. Une preuve? Des chantiers représenta­nt plus de 3 milliards de francs d’investisse­ments sont en cours. Il y a eu des offres de pays moyen-orientaux qui étaient prêts à prendre en charge les salaires des fonctionna­ires internatio­naux. Personne n’a souhaité aller dans cette direction.» Quant à la compétitiv­ité de Genève, le président du Conseil d’Etat est serein: «Genève a une capacité de réaction qu’aucune autre ville n’a. Nous pouvons organiser une rencontre diplomatiq­ue en quelques jours, mettre à dispositio­n une salle publique ou un lieu plus privé. Quinze personnes travaillen­t en permanence pour le protocole.» Et Elisabeth Decrey-Warner d’ajouter: «Au fin fond du Soudan, on nous parle de la Genève internatio­nale avec un sentiment de confiance. Les Genevois n’ont pas assez conscience du bijou dont ils disposent.»

«Les Genevois n’ont pas assez conscience du bijou dont ils disposent»

ELISABETH DECREY-WARNER, EX-PRÉSIDENTE DE L’APPEL DE GENÈVE

 ?? (MAGALI GIRARDIN/ KEYSTONE) ?? En 2016, Ban Ki-moon, alors secrétaire général de l’ONU, et sa femme Yoo Soon-taek sont reçus à Genève par les autorités de la ville et du canton.
(MAGALI GIRARDIN/ KEYSTONE) En 2016, Ban Ki-moon, alors secrétaire général de l’ONU, et sa femme Yoo Soon-taek sont reçus à Genève par les autorités de la ville et du canton.

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