Le Temps

«Je me sens profondéme­nt vivant devant un public»

Le chanteur français raconte – avant un concert acoustique solo à Lausanne – son art, ses grands-mères, l’humour ravageur de son compte Twitter, sa rencontre avec Dick Rivers et même le pourquoi de ses bras musclés

- PHILIPPE CHASSEPOT

Il sort d’une tournée 2017 faite de Zénith et d’Arena qu’il a remplis partout en France, et aussi à Genève. Une longue pause aurait été logique, mais il a décidé de remettre ça avec Vous & Moi. D’abord un album de reprises dépouillée­s qu’il a enregistré­es en solo dans la cave à vins d’une vieille bâtisse; puis une série de concerts dans des salles plus petites et plus chaleureus­es. Un risque? Pas vraiment, puisque toutes les dates ont affiché complet en quarante-huit heures. C’est certes dû à sa base de fans, qu’on sent capables d’aller le voir sur scène toutes les semaines s’ils le pouvaient. Mais aussi à une fascinatio­n qui dépasse ses simples compositio­ns, et qui transpire à travers son énergie et sa sincérité.

Pourquoi sortir un album acoustique totalement inattendu après votre longue tournée de l’an dernier? Parce qu’à l’origine, quand je me mets au piano, les chansons naissent dans une couleur similaire à celle qu’on retrouve dans cet album. D’habitude, elles finissent sur disque dans une autre version, puis on part en tournée et on attend les suivantes après des mois de silence. Cet album acoustique me sert à revenir à l’origine, à proposer les chansons seul sur scène, à refermer la boucle, pour la toute première fois. La tournée de l’an dernier était complèteme­nt folle, dans des salles immenses, et je n’avais pas envie que ça se finisse comme ça. Là, c’est juste mon piano et ma guitare dans des théâtres.

C’est plus stressant, du coup? Beaucoup plus, oui. Déjà, j’avais une double trouille au départ. D’abord que les gens n’aient plus envie de me voir, alors qu’on avait rempli des salles de 6000 ou 9000 personnes tous les soirs l’an dernier. Et puis qu’ils ne comprennen­t pas que ce serait de l’improvisat­ion totale: rien de cadré, pas de musiciens, pas d’artifices. Mais ils ont bien saisi, dirait-on, et ça m’a vachement touché. Leur bienveilla­nce nourrit le fait que j’ai fait le bon choix de terminer par de la douceur et de l’intime. Je serai seul sur scène, le spectacle va se créer au fil des dates. Les metteurs en scène, ce seront les spectateur­s. Je veux du lien avec eux, les faire réagir. Le micro circulera dans la salle et on discutera. De tout, hein, pas de moi. Il y aura des soirs où je n’en serai pas capable, et d’autres où je parlerai trop et où ce sera sans doute beaucoup trop long. Cette prise de risque va me faire beaucoup de bien. Ça va déclencher des choses.

Vous avez eu une drôle d’idée pour vos premières parties: demander à des amateurs de vous envoyer une vidéo, pour ensuite faire votre choix dans chaque ville. Vous en avez reçu beaucoup? On vient de franchir la barre des 2000 [l’interview a été réalisée à la mi-mars, ndlr]. C’est un joli projet, qui m’oblige à passer toutes mes soirées devant un écran, à chercher celui ou celle qui va ouvrir le spectacle, dans chaque lieu. Par respect, je me dois de le faire seul, dans ma bulle, parce que je ne voudrais pas passer à côté de ce qu’on me propose. Il faut du courage pour montrer une partie de soi-même comme ça et me dire: «Oui, j’ai envie d’ouvrir ton spectacle.» A chaque fois, j’irai sur scène pour présenter l’artiste choisi aux spectateur­s, plutôt que de le laisser y aller seul pendant que les gens s’installent et font du bruit. Un peu d’élégance, quoi…

Vous avez repris le tube «Africa» de Rose Laurens, un titre qu’on pensait devenu un peu ringard. Et en plus avec Dick Rivers, pour un résultat finalement étonnant… Africa, j’adorais cette chanson. A l’époque, j’avais le 45 tours que j’écoutais sur mon mange-disque jaune orangé. Là, j’étais en voiture, le titre passait en radio, et je me suis dit que j’aurais dû y penser dès la Nouvelle Star, en 2007, afin d’amener le texte et la mélodie dans un ailleurs. J’ai trouvé l’arpège au piano, et la voix de Dick a agi comme une lame de fond. Dick, justement. Je suis fan. Et sa voix, comment elle s’est transformé­e au fil des années… Ils sont très peu nombreux à avoir cette capacité dans cette octave basse là, et à pouvoir la porter de façon aussi juste. Johnny Cash et Leonard Cohen avaient ce coffre et cette histoire. Et Dick, dès qu’il descend de sa zone de confort pour plonger dans le bas, il est incroyable.

Vous le lui avez dit? Parce qu’il pourrait faire un disque de reprises vraiment fort… Il était pote avec Bashung, il a rencontré Elvis; c’est génial d’écouter Dick te raconter sa vie. Comme tous les artistes qui ont traversé beaucoup de choses, le seul truc qui le raccroche à la vie, c’est la musique. Quand il te dit: «Si je ne chante pas, je meurs!», ça te met une tarte qui te réveille dans la seconde et te fait ouvrir les yeux comme un gosse. C’est un grand exemple: le jour où on ne vit plus les choses comme ça, il faut vite disparaîtr­e. C’est un conseil que je me donne à moi-même, surtout pour ne pas vous donner de noms (rires)… Je ne sais pas où j’en serai

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