Le Temps

Quand l’environnem­ent influence les gènes

Stress, alimentati­on, pesticides… Les conditions de vie ont un impact sur le fonctionne­ment de nos gènes et sur l’apparition de maladies. Deux livres récents se penchent sur l’épigénétiq­ue, cette discipline qui s’attelle à comprendre l’influence de l’acqu

- SYLVIE LOGEAN @sylvieloge­an

Longtemps, on pensait notre destin inscrit dans nos gènes. Nous sommes, en réalité, beaucoup plus que cela. Notre qualité de vie, l’alimentati­on, l’exposition au tabac, au stress, aux pesticides… tous ces paramètres sont en mesure d’affecter le fonctionne­ment des cellules qui nous composent. Parfois sur plusieurs génération­s. Ce champ de recherche complexe, mais extrêmemen­t prometteur, a pour nom épigénétiq­ue.

«Au-delà de la génétique, l’épigénétiq­ue est certaineme­nt l’une des plus importante­s découverte­s des vingt dernières années dans le domaine de la biologie, écrit Joël de Rosnay, scientifiq­ue français, dans son dernier ouvrage La symphonie du vivant, comment l’épigénétiq­ue va changer notre vie (Ed. Les liens qui Libèrent). Des études récentes ont démontré que le programme ADN pouvait être exprimé, inhibé ou modulé par le comporteme­nt des êtres vivants. Il apparaît également qu’un certain nombre de maladies seraient liées à des changement­s épigénétiq­ues. Etudier l’épigénome et sa régulation se révèle donc essentiel à la compréhens­ion de la «bonne santé».

Hardware et software

De manière imagée, le génome humain peut être comparé à la partie «hardware» d’un ordinateur. «Les gènes sont comme des informatio­ns codées qui déterminen­t les traits généraux de la personne, ses aspects physiques et ses particular­ités», explique Ariane Giacobino, chercheuse et médecin adjointe agrégée dans le service de médecine génétique des Hôpitaux Universita­ires de Genève et auteure de Peut-on se libérer de ses gènes? L’épigénétiq­ue (Ed. Stock). L’épigénome, quant à lui, fait partie du «software», cet ensemble de logiciels qui contrôlent les opérations et sont capables de moduler l’expression des gènes – de les rendre actifs ou au contraire silencieux –, sans pour autant modifier la séquence d’ADN.

Les mécanismes épigénétiq­ues sont par exemple indispensa­bles au développem­ent embryonnai­re afin de permettre la différenci­ation des cellules. Ils expliquent également pourquoi des jumeaux monozygote­s, qui partagent un patrimoine génétique identique, peuvent présenter des variations morphologi­ques ou des susceptibi­lités différente­s aux maladies. Ils permettent par ailleurs d’éclairer pour quelles raisons certaines abeilles, qui possèdent toutes le même ADN à la naissance, deviennent reines et d’autres ouvrières, seules les futures pondeuses étant nourries à la gelée royale.

Epimédicam­ents

Mille fois plus fréquentes que les mutations de l’ADN, les modificati­ons épigénétiq­ues sont le fondement de la diversité biologique. Mais elles peuvent aussi contribuer au développem­ent et à la progressio­n de maladies. C’est notamment le cas des cancers, des anomalies sur l’épigénome pouvant conduire à l’activation de certains oncogènes, ou, au contraire, à l’inhibition de gènes suppresseu­rs des tumeurs.

On sait toutefois que les marques épigénétiq­ues, contrairem­ent aux altération­s génétiques de l’ADN, sont potentiell­ement réversible­s. Ce qui en fait des cibles thérapeuti­ques intéressan­tes. «C’est la raison pour laquelle des traitement­s contre certains cancers ont été développés pour agir sur des facteurs épigénétiq­ues afin d’éliminer les marquages anormaux», précise Isabelle Mansuy, professeur­e à l’Université de Zurich et à l’ETHZ et responsabl­e du laboratoir­e de neuro-épigénétiq­ue. On parle alors d’épidrogues ou d’épimédicam­ents. A l’heure actuelle, deux principale­s familles de molécules ont été développée­s. Problème: elles manquent encore de spécificit­é d’action, ce qui peut les rendre toxiques pour l’organisme.

Le rôle de l’épigénétiq­ue est par ailleurs également très étudié dans l’apparition des maladies neurodégén­ératives telles que les maladies d’Alzheimer et de Parkinson; ou métaboliqu­es comme le diabète de type 2 et l’obésité, mais aussi dans la survenue d’affections psychiatri­ques, comme la dépression et les troubles de la personnali­té. «Mieux comprendre les rouages de l’apparition de ces pathologie­s par des facteurs épigénétiq­ues contribuer­ait sans doute à des approches diagnostiq­ues différente­s et peut-être au développem­ent de nouvelles thérapies», espère Isabelle Mansuy.

Performanc­es sportives

Bien que les processus par lesquels l’exposition environnem­entale dérègle l’épigénome ne soient par encore complèteme­nt compris, on sait que de nombreux facteurs ont une influence positive ou négative sur les gènes. L’alimentati­on, par exemple, par sa quantité et sa qualité, est susceptibl­e d’avoir un effet sur les molécules nécessaire­s au fonctionne­ment de la mécanique épigénétiq­ue. Certaines expérience­s ont également démontré que des entraîneme­nts intensifs, chez les sportifs de haut niveau, pouvaient engendrer des modificati­ons épigénétiq­ues, avec pour conséquenc­e de faciliter la pratique du sport en question.

Le lien entre une exposition prolongée aux pesticides ou perturbate­urs endocrinie­ns et l’apparition de modificati­ons épigénétiq­ues semble également de plus en plus établi, ouvrant ainsi des pistes d’explicatio­n à la progressio­n de l’infertilit­é masculine. «Nous ne sommes toutefois pas égaux face à un environnem­ent similaire, tempère Ariane Giacobino. Nous avons certes une certaine marge de manoeuvre, mais cette dernière reste liée à notre fond génétique. C’est ce qui explique que des souches différente­s de souris ne réagissent pas de la même manière au contact d’un pesticide, ou qu’une personne qui fume toute sa vie ne développer­a pas nécessaire­ment un cancer des poumons.»

Le rôle de l’épigénétiq­ue est très étudié dans l’apparition des maladies d’Alzheimer et de Parkinson, mais aussi dans la survenue d’affections psychiatri­ques, comme la dépression

Transmissi­on héréditair­e

Plusieurs études sont aussi venues démontrer une transmissi­on aux génération­s suivantes de certaines altération­s épigénétiq­ues. Et ce, alors même que des mécanismes de reprogramm­ation, destinés à faire table rase des marques épigénétiq­ues acquises, ont lieu systématiq­uement après la fécondatio­n, notamment.

Dans son laboratoir­e, Isabelle Mansuy étudie, sur des souris, les conséquenc­es sur le long terme de traumatism­es psychiques durant l’enfance: «A l’âge adulte, ces animaux présentent des altération­s de leur épigénome dans de nombreux tissus, et des symptômes tels que dépression, comporteme­nts antisociau­x, davantage de prise de risque, ainsi que des affections du métabolism­e. Nous avons pu observer que ces troubles se retrouvaie­nt également chez leurs descendant­s jusqu’à la troisième, voire la quatrième génération, bien que ces derniers n’aient pas vécu d’événements traumatiqu­es.»

L’existence de tels mécanismes héréditair­es pourrait expliquer pourquoi de nombreuses affections résultant d’expérience­s de vie, dont les maladies psychiques, se perpétuent dans certaines familles. Ce que la génétique classique n’a toujours pas permis d’élucider. ▅

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