Faisons-nous peur!
Quelle que soit la situation, certains économistes nous prédisent toujours le pire: la bourse est à la veille d'un krach retentissant et l'économie va plonger dans une récession sans précédent. Ils ont fait de la catastrophe leur fonds de commerce. Si l'économie est faite de cycles, et c'est probable, ils devraient tôt ou tard avoir raison. Le problème est de savoir quand. Aujourd'hui, comme d'habitude, ils annoncent le pire. Récapitulons.
La reprise économique synchronisée est une mauvaise nouvelle. Certains naïfs, dont je fais partie, auraient pu croire que c'est un signe positif attendu depuis longtemps. Ils pensent, au contraire, que quand toutes les nations sont en croissance l'économie est arrivée au sommet de son cycle. Elle peut être alors victime d'une conjugaison de tensions: pression sur les salaires comme aux Etats-Unis, en Allemagne ou en France, augmentation des taux d'intérêt, volatilité des monnaies ou augmentation du prix des matières premières. En fin de compte, la croissance succombe à toutes ces contraintes et la récession arrive.
L'inflation nous guette. Théoriquement, la conséquence première d'une reprise économique robuste est de créer de l'inflation. Cependant, celle-ci est un peu comme l'Arlésienne dans l'opéra de Bizet, tout le monde en parle mais personne ne la voit. Une reprise économique alliée avec une remontée des taux d'intérêt devrait normalement créer une tension sur les prix. Pourtant, aujourd'hui, la plupart des pays restent en dessous de la barre fatidique des 2%. C'est le cas de l'Europe, à 1,1%, ou du Japon, à 1,5%. C'est vrai qu'il y a une légère poussée inflationniste aux Etats-Unis, avec 2,2%, et en Grande-Bretagne, avec 2,7%. Mais pour le moment la catastrophe prédite n'est pas arrivée.
La productivité stagne. Effectivement, l'extraordinaire innovation technologique à laquelle nous assistons – réseaux sociaux, automation, intelligence artificielle, etc. – devrait se traduire par une augmentation de la productivité. Ce n'est pas le cas pour les pays industrialisés. Les variations de productivité oscillent entre -1 et +1%. De nombreux économistes comme Paul Krugman, Prix Nobel, ou Christine Lagarde, la directrice du FMI, se posent régulièrement la question de savoir pourquoi. Les annonceurs de catastrophe pensent que c'est un signe avant-coureur d'une économie qui se dérègle. En fait, il est fort possible que notre mesure de la productivité soit inadéquate. Elle ne prend pas bien en compte tout ce qui se passe dans l'économie immatérielle.
Et ce serait un autre problème. Le dynamisme de la nouvelle économie, celle des données et de l'intangible, cache les faiblesses de l'économie conventionnelle. Là, ce n'est peut-être pas entièrement faux. Le jeune et dynamique cadre qui a passé sa journée au bureau à gérer des blockchains, à échanger des bitcoins et à développer des algorithmes d'intelligence artificielle rentre à la maison le soir, ouvre son frigidaire et le découvre… vide. Il est alors confronté à une dure réalité: on ne mange pas des amis sur Facebook et on ne boit pas des bitcoins. Tôt ou tard, l'économie redevient matérielle, et parfois terriblement conventionnelle.
Karl Popper, philosophe des sciences, est devenu célèbre par sa théorie établissant le principe de falsification. Pour simplifier, une idée n'est plausible que si elle peut faire face régulièrement à toutes les attaques qui essaient de la rendre fausse. C'est le grand avantage des théoriciens de la catastrophe en matière d'économie. Ils nous poussent sans cesse à tester les limites du système et à le réformer, si possible, avant la crise. Cependant, leur grand désavantage est de propager un scepticisme perpétuel. Ce n'est peut-être pas toujours ce dont nous avons besoin.
L'inquiétude est souvent mauvaise conseillère. Comme le soulignait Mark Twain: «J'ai passé ma vie à m'inquiéter de choses qui, en fait, ne se sont jamais produites…» Donc, restons optimistes! ▅