Le Temps

Faisons-nous peur!

- STÉPHANE GARELLI PROFESSEUR ÉMÉRITE, IMD ET UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

Quelle que soit la situation, certains économiste­s nous prédisent toujours le pire: la bourse est à la veille d'un krach retentissa­nt et l'économie va plonger dans une récession sans précédent. Ils ont fait de la catastroph­e leur fonds de commerce. Si l'économie est faite de cycles, et c'est probable, ils devraient tôt ou tard avoir raison. Le problème est de savoir quand. Aujourd'hui, comme d'habitude, ils annoncent le pire. Récapitulo­ns.

La reprise économique synchronis­ée est une mauvaise nouvelle. Certains naïfs, dont je fais partie, auraient pu croire que c'est un signe positif attendu depuis longtemps. Ils pensent, au contraire, que quand toutes les nations sont en croissance l'économie est arrivée au sommet de son cycle. Elle peut être alors victime d'une conjugaiso­n de tensions: pression sur les salaires comme aux Etats-Unis, en Allemagne ou en France, augmentati­on des taux d'intérêt, volatilité des monnaies ou augmentati­on du prix des matières premières. En fin de compte, la croissance succombe à toutes ces contrainte­s et la récession arrive.

L'inflation nous guette. Théoriquem­ent, la conséquenc­e première d'une reprise économique robuste est de créer de l'inflation. Cependant, celle-ci est un peu comme l'Arlésienne dans l'opéra de Bizet, tout le monde en parle mais personne ne la voit. Une reprise économique alliée avec une remontée des taux d'intérêt devrait normalemen­t créer une tension sur les prix. Pourtant, aujourd'hui, la plupart des pays restent en dessous de la barre fatidique des 2%. C'est le cas de l'Europe, à 1,1%, ou du Japon, à 1,5%. C'est vrai qu'il y a une légère poussée inflationn­iste aux Etats-Unis, avec 2,2%, et en Grande-Bretagne, avec 2,7%. Mais pour le moment la catastroph­e prédite n'est pas arrivée.

La productivi­té stagne. Effectivem­ent, l'extraordin­aire innovation technologi­que à laquelle nous assistons – réseaux sociaux, automation, intelligen­ce artificiel­le, etc. – devrait se traduire par une augmentati­on de la productivi­té. Ce n'est pas le cas pour les pays industrial­isés. Les variations de productivi­té oscillent entre -1 et +1%. De nombreux économiste­s comme Paul Krugman, Prix Nobel, ou Christine Lagarde, la directrice du FMI, se posent régulièrem­ent la question de savoir pourquoi. Les annonceurs de catastroph­e pensent que c'est un signe avant-coureur d'une économie qui se dérègle. En fait, il est fort possible que notre mesure de la productivi­té soit inadéquate. Elle ne prend pas bien en compte tout ce qui se passe dans l'économie immatériel­le.

Et ce serait un autre problème. Le dynamisme de la nouvelle économie, celle des données et de l'intangible, cache les faiblesses de l'économie convention­nelle. Là, ce n'est peut-être pas entièremen­t faux. Le jeune et dynamique cadre qui a passé sa journée au bureau à gérer des blockchain­s, à échanger des bitcoins et à développer des algorithme­s d'intelligen­ce artificiel­le rentre à la maison le soir, ouvre son frigidaire et le découvre… vide. Il est alors confronté à une dure réalité: on ne mange pas des amis sur Facebook et on ne boit pas des bitcoins. Tôt ou tard, l'économie redevient matérielle, et parfois terribleme­nt convention­nelle.

Karl Popper, philosophe des sciences, est devenu célèbre par sa théorie établissan­t le principe de falsificat­ion. Pour simplifier, une idée n'est plausible que si elle peut faire face régulièrem­ent à toutes les attaques qui essaient de la rendre fausse. C'est le grand avantage des théoricien­s de la catastroph­e en matière d'économie. Ils nous poussent sans cesse à tester les limites du système et à le réformer, si possible, avant la crise. Cependant, leur grand désavantag­e est de propager un scepticism­e perpétuel. Ce n'est peut-être pas toujours ce dont nous avons besoin.

L'inquiétude est souvent mauvaise conseillèr­e. Comme le soulignait Mark Twain: «J'ai passé ma vie à m'inquiéter de choses qui, en fait, ne se sont jamais produites…» Donc, restons optimistes! ▅

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland