Le Temps

Stéphanie Mérillat, minorité audible

Depuis dix ans, la vice-présidente du HC Bienne est la seule voix féminine et romande de son conseil d’administra­tion. Cela ne l’empêche pas de faire entendre ses idées et ses encouragem­ents les soirs de match, comme ces jours en play-off

- LIONEL PITTET @lionel_pittet

Lugano inscrit un dernier but dans la cage vide pour mener 3-2 dans la série. Ce jeudi soir, il n’y aura pas de gin tonic de la victoire pour Stéphanie Mérillat. Elle avait pourtant glissé dans son sac une pleine bouteille de son alcool favori avant de prendre la route de la patinoire, car elle y croyait. Et son instinct a fait ses preuves: au tour précédent, elle avait prédit avec exactitude l’issue de chacune des six rencontres disputées contre le HC Davos. Mais comme ses hockeyeurs sur la glace, la vice-présidente du HC Bienne découvre la logique d’une demi-finale de play-off. «C’est beaucoup plus dur, plus agressif, remarquet-elle. Nous devons encore apprendre.»

Cela faisait vingt-huit ans que son club n’avait pas atteint ce stade de la compétitio­n. Ellemême déclarait voilà douze mois qu’une demi-finale constituer­ait un objectif «sur un horizon de cinq à dix ans». Alors elle savoure le parcours réalisé cet hiver, et l’engouement populaire retrouvé dans le Seeland. Les 6500 places pour le match de jeudi ont trouvé preneurs en sept minutes. L’ambiance dans la Tissot Arena était électrique comme rarement depuis que le club y a déménagé en 2015. «Jamais je n’aurais imaginé une telle fin de saison», s’enthousias­me Stéphanie Mérillat.

Cela fait dix ans que cette quadra joviale et dynamique a intégré les structures dirigeante­s du club. L’histoire, comme beaucoup de bonnes histoires, commence avec quelque chose à fêter et quelques verres. En avril 2008, le HC Bienne retrouve sa place dans l’élite après treize ans en Ligue nationale B. Le gin tonic de la victoire – on suppose – coule à flots et Stéphanie Mérillat aborde les patrons du club sur un ton vindicatif. «Je leur ai dit qu’ils ne faisaient rien pour les Romands, se souvient-elle. Ils m’ont répondu que je n’avais qu’à venir les aider.» Trois mois plus tard, elle entre au comité des donateurs. L’année suivante, elle devient vice-présidente du club avec la mission d’assurer les relations publiques à l’ouest de la Sarine.

«Tu vas démissionn­er»

Seule Romande (bilingue, comme presque tout le monde à Bienne) d’un conseil d’administra­tion alémanique. Seule femme dans un milieu du hockey presque exclusivem­ent masculin – la présidente de Lugano Vicky Mantegazza fait avec elle figure d’exception. En double situation de minorité. «Quels étaient les a priori à mon égard? Je n’en sais rien. Peut-être craignait-on de ma part un manque de sérieux ou un peu de légèreté.» Elle saisit d’emblée l’embauche d’un directeur marketing comme l’opportunit­é de faire ses preuves. «J’ai dit que c’était mon domaine, et que je m’occupais de tout à partir de la définition du cahier des charges. Mes collègues ont ainsi compris que je n’étais pas là pour faire joli.»

Aujourd’hui, elle s’épanouit dans un directoire à l’ambiance sereine où les décisions sont «souvent prises à l’unanimité» mais où chacun est libre de défendre son opinion. Elle se surprend souvent dans un rôle de facilitatr­ice, avec ses évidentes qualités d’entregent et son horreur des conflits: «Deux ego masculins vont plus facilement au clash, moi je n’ai pas peur de dire que je n’ai pas compris quelque chose ou que je me suis trompée. Cela permet d’apaiser certaines situations.» Elle ne se laisse pas marcher sur les pieds pour autant. Le monde du travail lui a tôt appris que sa condition de femme l’exposait à des abus qu’il ne fallait pas tolérer.

Titulaire d’une licence en économie d’entreprise, elle commence sa carrière profession­nelle au service marketing de l’UEFA, en tant qu’assistante. Au départ d’un manager, elle se retrouve à assumer ses fonctions, sans changer de titre. Après une année et demie, elle se décide à demander une requalific­ation de poste. Mais l’époque est au sexisme presque décomplexé. Sa demande est refusée, parce qu’elle est une femme. Son supérieur direct, qui la soutient, est horrifié de lui apprendre la nouvelle: «Tu vas démissionn­er, je le sais.» Il ne se trompe pas. «A ce moment-là, j’ai fait l’expérience de la frustratio­n à l’état pur», se rappelle-t-elle.

Naturel exubérant

De son passage dans l’univers du football, elle évoque avec une pointe de nostalgie des moyens financiers qui permettaie­nt des événements ambitieux et ses collègues «assistante­s» qu’elle voit encore régulièrem­ent. Mais les compétitio­ns auxquelles elle assistait ne l’ont jamais fait vibrer. «Je ne pense pas avoir regardé un match plus de dix minutes, sourit-elle. Ça m’ennuie.» Au gazon et au ballon rond, elle préfère la glace et le puck. La rapidité du jeu. La virilité de l’engagement. Pour les mêmes raisons qu’elle n’aime pas le foot, elle est indifféren­te au hockey féminin. «Attention, je suis pour son développem­ent! Mais pour moi, le hockey sans les contacts, sans les charges, ce n’est plus le même sport.»

Elle le connaît bien, le hockey, il l’a accompagné­e toute sa vie. Ça a d’abord été les matches regardés avec son grand-père au Stade de Glace de Bienne. La petite Stéphanie a 10 ans, elle apprécie la saucisse grillée autant que le spectacle présenté. Puis ça a été le coup de foudre (unilatéral) pour le défenseur Beat Cattaruzza à l’adolescenc­e. «Pour une jeune fille, à Bienne, c’est un passage obligé de tomber amoureuse d’un hockeyeur», plaisante-t-elle.

Tradition familiale

Au fil du temps, le hockey est surtout devenu un vecteur d’émotions fortes. Stéphanie Mérillat n’est pas du genre discret. Elle arpente les couloirs de la Tissot Arena avec un sourire et quelques mots pour chaque personne qu’elle croise, rigole tout le temps et prévient en début d’interview qu’on ferait mieux d’enregistre­r la conversati­on plutôt que de prendre des notes: elle parle beaucoup, et très vite. Mais ce naturel déjà exubérant se transcende encore dès que le puck est mis en jeu.

«Je suis vice-présidente du HC Bienne avant et après le match. Mais pendant les trois tiers-temps, je redeviens instantané­ment une supportric­e lambda.» Elle encourage, elle invective, elle râle. Une amie venue assister avec elle à la rencontre complète: «Elle tape contre les vitres de sa loge!» Ces instants de lâcher-prise, ces décharges d’adrénaline «que seuls le sport et le sexe peuvent procurer», elle les chérit plus que tout. C’est ce qu’elle vient chercher à la patinoire.

Dans sa lignée familiale, chaque génération a été d’un degré d’engagement supérieur à la précédente envers le HC Bienne. Son grandpère maternel Mario était un supporter régulier. Son père Serge est devenu mécène du club, mais il a toujours tenu à rester dans l’ombre. Lorsqu’il est décédé, Stéphanie Mérillat et son frère Sébastien ont repris son entreprise immobilièr­e et le flambeau. Pour la première, il fallait aussi ajouter une participat­ion active au soutien financier. Si tout se passe comme prévu, elle sera un jour présidente du club.

Qu’en sera-t-il de sa fille, Elsa (6 ans), qui court dans tous les sens pendant que sa maman discute et que son papa Cédric s’installe en tribune avec les supporters les plus bruyants? «Pour l’instant, elle aime venir ici parce qu’elle mange des nuggets et joue avec ses copains, sourit Stéphanie Mérillat. Mais qui sait? Peut-être que plus tard, ce sera elle qui créera la section féminine du HC Bienne…»

«Pendant les trois tiers-temps, je redeviens instantané­ment une supportric­e lambda»

STÉPHANIE MÉRILLAT, VICE-PRÉSIDENTE DU HC BIENNE

 ?? (DIRK WEISS) ?? Enfant, Stéphanie Mérillat allait déjà voir les matches du HC Bienne avec son grand-père.
(DIRK WEISS) Enfant, Stéphanie Mérillat allait déjà voir les matches du HC Bienne avec son grand-père.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland