«House of Cards» a préparé l’élection de Donald Trump»
Dominique Moïsi découvre un peu la lune, mais il l’admet, ce qui le rend touchant. S’exprimant à Canneseries, le maître de la géopolitique, qui a écrit un ouvrage offrant sa lecture de cinq séries au regard de sa discipline, raconte le périple intellectuel qui l’a conduit à s’intéresser aux feuilletons.
Naguère, il avait montré Warriors, la minisérie de Peter Kosminsky sur la guerre dans les Balkans, à des étudiants kosovars, et il avait été sidéré par leur réaction, «ils revivaient ces événements». Déjà auteur d’une analyse des nations sous l’angle des émotions, il pense se pencher sur la peur en politique internationale. Ses enfants lui ont lancé: «Tu ne peux pas réfléchir à la peur sans avoir vu Game of Thrones». Il l’a vue, a ressenti un «malaise» face à toute cette violence, est «devenu accro», puis lance: «Je ne voyais pas un Moyen Age fantastique, mais le Moyen-Orient. Avec même les effets d’annonce, la présentation à la fin d’un épisode du personnage qui disparaîtra à l’épisode suivant. On peut se demander si Daech n’a pas vu cette série, s’il ne s’est pas inspiré de sa dramaturgie… Elle n’est pas manichéenne. C’est l’école réaliste des relations internationales. Kissinger aurait pu en être scénariste.»
Passons Downton Abbey («la fin de l’Occident»), Homeland («parfait reflet des variations du regard américain sur le monde, et du regard sur soi, du doute qui grandit sur la politique nationale») et Occupied («génie géopolitique absolu»).
Avec le public, la discussion va porter sur House of Cards, l’américaine: «C’est la critique la plus féroce de la décomposition du système politique américain. La crise de la démocratie américaine, c’est le passage de Bartlet [le président d’A la Maison-Blanche] à Underwood. House of Cards a préparé l’élection de Donald Trump. Du jour où il a été élu, j’ai arrêté de regarder la série. La fiction paraissait mièvre.»
J’interviens sur le fait que House of Cards, à mon sens, se vautre dans son poujadisme («populisme», corrige-t-il), alors qu’A la Maison-Blanche gardait au moins une foi dans le système. Il approuve: «Le slogan d’Underwood, «La démocratie, c’est surfait», est choquant quand vous voyez des gens débattre. En Occident, les séries deviennent d’une acidité totale par rapport au pouvoir.» Lui propose une série «positive» sur l’affrontement américano-chinois. Il y a du travail.
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