Le Temps

Lôzane bouge l’a fait chanter

Dans les années 80, Jacques Higelin était un habitué de la région lémanique. Les jeunes Romands l’adoraient et il le leur rendait bien, allant jusqu’à chanter pour soutenir les contestata­ires vaudois

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e

En 1980, le gymnase de Burier ouvrait ses portes. Pour fêter l’événement, le directeur de l’établissem­ent veveysan avait décidé d’offrir aux élèves de l’établissem­ent un concert pop. Ils avaient le choix entre trois vedettes, Yves Duteil, Marie-Paule Belle et Jacques Higelin. Le troisième a été plébiscité à l’unanimité des voix moins une. Il venait de sortir le diptyque Champagne pour tout le monde et Caviar pour les autres, qui reste un sommet de son oeuvre. Il était plein de sauvagerie, de gouaille et de grâce.

Le 14 mars, dans une aula en liesse, la rencontre des collégiens de la Riviera et du Grand Jacques a été intense et rieuse. Lorsqu’il a chanté «Champagne!», cette ode maldororie­nne aux créatures de la nuit, un kid lui a tendu une bouteille, le bouchon a sauté et le divin breuvage coulé en abondance pour célébrer «L’ami qui soigne et guérit/La folie qui m’accompagne/Et jamais ne m’a trahi».

Concert phénoménal

Jacques Higelin était comme chez lui en Suisse romande. Le 20 avril 1982, à Lausanne, sur le parking de Bellerive, il donnait sous chapiteau un concert phénoménal. Le magazine Music Scene ne trouvait plus ses mots pour évoquer l’événement: «Comment rendre compte d’un concert d’Higelin de manière complète et dense? Tu n’as qu’à dire: génial, dément, délirant, fou, fabuleux, trop, le pied total, etc. Tout sera dit.»

Puisque l’analyse objective est condamnée «à se casser les dents sur les mille facettes changeante­s du personnage, le jeune journalist­e a décidé de «procéder par flashes». S’ensuit un long dithyrambe sur «Higelin – magicien, une clé de sol sur la poitrine, une cape tourbillon­nante, images, images, un piano blanc […], une panthère blonde monte dans l’aéroplane blindé: c’est Armande Altaï qui rugit «Schizophre­nia» à s’en fissurer le larynx et la raison».

Ce jour-là, ce grand rebelle a partagé un joint avec le premier rang des spectateur­s «Ouaouh! Un cône! Je ne devrais pas à cause des vulgaires qui traînent dehors.» Gouailleur, il explique: «Un jour, y a un mec qui m’a demandé «Où vas-tu chercher tout ça?» Je lui ai répondu «Mais où tu l’as laissé, connard!».

«La violence pure»

Plus tard, au CPO de la Croixd’Ouchy où les musiciens se restauraie­nt, Jacques Higelin a été approché par des rescapés de Lôzane bouge, le mouvement de jeunesse qui avait embrasé la capitale vaudoise à l’automne 1980. Le chanteur a accepté de donner deux concerts en faveur des manifestan­ts traduits en justice par les autorités lausannois­es. Il a tenu sa promesse les 2 et 3 octobre de la même année. «La violence, c’est empêcher de respirer, de danser, de chanter… Ça c’est de la violence pure, déguisée en loi. Envoyer des flics contre des gens qui sont dans la rue parce qu’ils veulent donner un autre visage à l’adolescenc­e et à leur pays: VIOLENCE», disait-il au lendemain de ces rendez-vous exceptionn­els.

Serviteur amoureux

Adulé par la jeunesse romande des années 80, Higelin a tourné régulièrem­ent entre Genève et Leysin. Au Montreux Jazz Festival, en 1986, il chante aux côtés d’Astor Piazzolla et de Didier Lockwood accompagné­s par l’Orchestre national de Lille, sous la direction de son fondateur, Jean-Claude Casadesus, et s’enthousias­me pour cette «démarche formidable». Au cours du concert, l’adepte des décloisonn­ements n’a pas pu s’empêcher de délirer et de descendre dans la salle, mais sans perdre le tempo. Il s’étonnait de «la puissance sonore, de l’impression de grandeur majestueus­e» qu’un orchestre symphoniqu­e conférait à sa voix. «Moins t’es cloisonné, plus la musique s’approche avec plaisir. Parce que la musique aime ceux qui la servent avec amour.»

En juillet 1989, il soulève le Paléo lors d’une soirée consacrée à la chanson française avec trois génération­s de «fous chantants», Charles Trenet le grand-père, Jacques Higelin le père et Jacques Haurogné le fils.

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