Le Temps

UNE «FAMILY» OUVERTE À TOUS

- PAR STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

Justin Sullivan était récemment de passage à Lausanne. Avec son groupe New Model Army, il donnera la semaine prochaine, à Londres, une série de trois concerts où les spectateur­s seront invités à jouer aux choristes

Lorsqu’il pénètre le 13 mars dernier dans l’intimité de la Cave du Bleu Lézard, à Lausanne, il se souvient instantané­ment y avoir joué. C’était en 2003, en solo également. Justin Sullivan aime les villes «avec une étrange géographie» et apprécie la capitale vaudoise au même titre que Bradford, la cité du West Yorkshire où il a fondé New Model Army en 1980. De temps à autre, il ressent l’envie de partir seul en tournée. Arriver à capter l’attention du public avec sa guitare, alors qu’il se considère comme un mauvais guitariste, est pour lui un défi. Comme l’est le projet des Nights of a Thousand Voices, qui la semaine prochaine verra son groupe proposer, à la Round Chapel de Londres, trois concerts durant lesquels, paroles en main, le public sera invité à chanter. Un moment clé de plus dans l’histoire d’une formation qui a su résister aux modes et conserver une solide base de fans sans médiatisat­ion. Probableme­nt parce qu’elle échappe à toute catégorisa­tion hâtive.

«Je me souviens que, durant l’été 2011, on a enchaîné un festival folk, un festival métal, un festival hippie et un festival gothique», rigole Justin Sullivan. A peine évoque-t-on sa carrière que l’Anglais embraye sur l’autobiogra­phie de Bruce Springstee­n: «Je ne lis pas souvent des livres de musiciens, mais celui-ci est très intéressan­t. La première moitié est excellente. Mais à partir de la fin des années 1970, il a suivi beaucoup de thérapies et, dans la deuxième moitié, vous avez alors l’impression d’entendre son psychiatre parler. Dans chaque histoire, c’est le début qui est le plus intéressan­t. Une fois que vous êtes établi, tout change. C’est comme le film Straight Outta Compton, sur le groupe de rap N.W.A.: la première heure est géniale, mais la suite est totalement déprimante. Dès qu’ils ont commencé à avoir du succès, il y a eu de l’argent, puis des gens qui s’intéressai­ent à cet argent.»

Avec New Model Army, vous n’avez pas vécu cela. Alors que vous auriez pu, dans les années 1990, avoir plus de succès si vous aviez accepté de jouer le jeu des majors, en l’occurrence EMI,

vous avez préféré rester hors du système… Nous étions en effet sur le point de devenir un grand groupe, on commençait à jouer dans des salles de sport. On nous a souvent demandé ce qui avait foiré… Avec le recul, je pense qu’il y avait en nous quelque chose de punk qui nous disait de ne pas devenir de plus en plus gros. Je pense qu’on a alors tout fait, de manière semi-consciente, pour que ça foire. Et nous voici en 2018 dans une position où on peut faire ce qu’on veut, quand on veut, comme on veut.

Vos deux derniers albums, «Between Dog and Wolf» et «Winter», semblent fonctionne­r en miroir à «Thunder & Consolatio­n» et «Impurity», sortis en 1989 et 1990. Ces quatre disques forment deux diptyques importants qui vous ont fait avancer musicaleme­nt… Peut-être… Il y a quelque chose d’important qui s’est passé entre 2010 et 2012. Nous avons fêté notre 30e anniversai­re, puis notre bassiste Nelson est parti. C’est alors que Ceri l’a remplacé. Il a amené de la jeunesse, une nouvelle énergie. Avec Micheal [batteur depuis 1998, ndlr], on a alors évoqué le fait qu’on avait depuis une dizaine d’années sorti des albums bien conçus mais mal réalisés. On a alors décidé de ne pas nous préoccuper d’être un groupe live et de faire de Between Dog and Wolf un véritable album studio. On voulait beaucoup de percussion­s et on a commencé par enregistre­r la batterie pendant des semaines. C’est la première fois depuis longtemps qu’on avait une idée conceptuel­le. On a ensuite répété la formule pour le mini-album Between Wine and Blood, puis on s’est dit qu’on allait faire le contraire, jouer très fort tous ensemble dans une petite pièce. Et ça a donné Winter.

Vous avez décidé de donner trois concerts à Londres, les 13, 14 et 15 avril, durant lesquels le public sera invité à chanter avec vous. Comment est née cette idée? Il s’agit de la chose la plus évidente au monde, et on se demande pourquoi personne ne l’a fait avant nous. Tous les groupes ont fait l’expérience de jouer un morceau plus doucement et de laisser le public chanter. Donc pourquoi ne pas le faire durant un concert entier? On va jouer en cercle, en regardant vers l’intérieur, de la manière la plus calme possible. Ce n’est pas un concert, c’est une expérience, un partage.

Il existe un lien très fort, une sorte de fidélité sans faille, entre le groupe et sa communauté de fans, baptisée «family». Comment expliquez-vous cela? C’est intéressan­t, parce qu’on n’a jamais rien fait pour renforcer cela. A un moment, on était en train de devenir un groupe culte, et on s’est battu contre cela. Je pense que c’est lié au fait que nous n’appartenon­s à aucune catégorie. Mais aussi parce que nos chansons parlent toujours de quelque chose, mais pas de quelque chose de spécifique; il n’y a pas de plan caché, juste des idées. Nous attirons les gens qui défendent la liberté d’opinion et la liberté de la musique.

Pour vos fans, il y a l’importance d’appartenir à cette «family», mais aussi quelque chose de parfois quasi religieux… Il y a une atmosphère particuliè­re autour du groupe, un lien, une connexion que ressentent nos fans à travers le monde. Certaines personnes ont voulu en faire un vrai culte, mais ce n’est pas une bonne chose. Cette «family» appartient à tout le monde. Si vous avez entendu une fois une chanson de New Model Army et que vous l’avez aimée, alors vous en faites partie.

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(GARY WOLSTENHOL­ME) Justin Sullivan, 62 ans ce dimanche, a fondé New Model Army à Bradford en 1980.

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