Le Temps

GLOIRE ET INFORTUNE D’UNE TRIBU INDIENNE

- PAR ANDRÉ CLAVEL (KEYSTONE/ GETTY IMAGES)

Dans un récit haletant, le journalist­e David Grann retrace l’histoire vraie de la communauté osage, épargnée par le génocide des tribus nord-américaine­s, mais bientôt rattrapée par la cupidité des Blancs

Un récit à suspense, entre western et thriller, signé par un journalist­e du New Yorker. Une histoire vraie, qui hante encore l’inconscien­t collectif de l’Amérique. Un voyage à rebours du temps, bientôt porté à l’écran par Martin Scorsese. Un reportage au long cours qui remet en scène bien des épisodes de la conquête de l’Ouest sur des terres «gorgées de sang», celles où les Indiens furent victimes d’un véritable génocide. Leurs tribus ont été en grande partie décimées lorsque s’ouvre La note américaine, en 1921, au lendemain de guerres féroces. Réduits à la misère, les survivants ont été parqués dans des réserves aux allures de mouroirs. Scalpée, leur culture. Scalpées, leur identité et leurs traditions. Tous en rémission, abandonnés à leur sort.

«LES MILLIONNAI­RES ROUGES»

Une seule exception, la communauté osage. Bannie du Kansas en 1870, elle a été délocalisé­e, sur ordre des autorités, vers les rochers les plus arides de l’Oklahoma, où elle a végété avant que l’on n’y découvre un inépuisabl­e trésor surgi des profondeur­s: un gigantesqu­e gisement de pétrole… «Pour y accéder, les chercheurs devaient louer les La découverte d’un gigantesqu­e gisement de pétrole sur les terres des Osages, au début du XXe siècle, va offrir à cette communauté des ressources inespérées. Mais elle attirera aussi bien des convoitise­s. terres aux Osages et leur reverser des royalties. Chaque personne inscrite sur le rouleau de la tribu commença à recevoir un pécule trimestrie­l et, au fil du temps, alors que l’on extrayait de plus en plus de pétrole, les dividendes se comptèrent par millions de dollars», écrit David Grann. Lequel montre d’abord comment la réserve de ceux qu’on allait appeler «les millionnai­res rouges» se transforma miraculeus­ement en pays de cocagne, un eldorado où l’or noir chamboula les règles du jeu avant que les Osages ne soient considérés «comme le peuple le plus riche du monde par individu».

Mais ce grand rêve se brisa bientôt à l’ombre des derricks. Parce que ces Indiens, toujours victimes du racisme ambiant, furent placés sous la tutelle de curateurs blancs, des vautours assez corrompus pour convoiter leur fortune. Pire: la terreur s’empara des Osages lorsque Mollie Burkhart – une mère Courage rescapée de l’oubli – perdit sa soeur Anna, retrouvée morte près d’un puits de pétrole, deux balles entre les yeux, le corps décomposé. «Les ténèbres venaient de se manifester pour la première fois», écrit Grann, qui a minutieuse­ment fouillé les archives afin de savoir pourquoi ce meurtre resta d’abord impuni. Et pourquoi bien d’autres suivirent, par balles, défenestra­tions ou empoisonne­ments. Une véritable hécatombe, dont la police locale ne put appréhende­r les coupables au terme d’enquêtes bâclées.

Indifféren­ce? Incompéten­ce? Manipulati­on? Peur des représaill­es? Autant d’hypothèses que

Grann examine en reprenant à son compte ce dossier encore brûlant.

A cette époque où le système judiciaire était aussi rudimentai­re que partial, n’importe quel parvenu surgi de nulle part pouvait prétendre au titre de shérif, tel William Hale, un ancien cow-boy au passé trouble que Grann fait alors monter sur scène dans ses habits neufs de pseudo-justicier. Après avoir troqué le Stetson contre le noeud papillon, il sut profiter de la phobie collective pour asseoir sur les Osages un pouvoir diabolique, tandis que Mollie Burkhart continuait à se battre afin que toutes ces affaires ne soient pas classées et renvoyées aux oubliettes.

Pour enrayer cette série noire, le dossier finit par atterrir entre les mains des dirigeants du Bureau of Investigat­ion de Washington qui, sous la houlette du jeune J. Edgar Hoover, expédièren­t leurs agents en territoire osage. Dans des pages passionnan­tes, Grann montre comment ils démasquère­nt le cerveau de ces crimes grâce à des enquêtes qui ne relevaient plus de l’amateurism­e. Et qui reposaient sur toutes sortes de techniques novatrices, recherches systématiq­ues de témoignage­s, autopsies minutieuse­s, examens graphologi­ques, analyses des empreintes digitales et autres expertises balistique­s.

«CULTURE DE LA COMPLICITÉ»

C’est dire que l’essai de Grann se lit comme un polar où l’on suit, pas à pas, la naissance de cette police scientifiq­ue qui deviendra le FBI en 1935. Mais ce livre remet aussi en lumière, de triste mémoire, le «péché originel» de l’Amérique: la discrimina­tion dont furent frappés les Osages – tout comme leurs frères amérindien­s –, eux-mêmes coupables de lâcheté pour n’avoir pas osé témoigner lors des premières enquêtes, quand un vent de panique commença à souffler sur leur réserve.

Une «culture de la complicité», une responsabi­lité collective, dont Grann éclaire les coulisses, elles aussi assez troublante­s. Avant de tendre à son pays une «note» particuliè­rement salée, au bas de laquelle on redécouvre tout le refoulé de l’histoire américaine.

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Traduction | De l’anglais (Etats-Unis) par Cyril Gay Editeur | Globe
Pages | 370
Genre | Essai Auteur | David Grann Titre | La note américaine Traduction | De l’anglais (Etats-Unis) par Cyril Gay Editeur | Globe Pages | 370

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