Le Temps

DANS LES COULISSES SOMBRES DE LA TRATION ÉNERGÉTIQU­E

- PAR ÉRIC TARIANT

Fruit de six années d’enquête dans une douzaine de pays, «La guerre des métaux rares» révèle la face cachée de la mutation énergétiqu­e. Ou quand l’enfer est pavé de bonnes intentions…

C’est un nouveau pavé dans la mare des défenseurs de la croissance verte que lance Guillaume Pitron, et une immense désillusio­n pour les partisans de la transition énergétiqu­e. Il y a quatre ans, Philippe Bihouix, spécialist­e des ressources minières, nous mettait en garde

(L’âge des low-tech, Seuil, 2014) contre le mirage des technologi­es «vertes», high-tech et autres green tech, supposées «sauver» la planète et la croissance. La guerre des métaux rares nous révèle aujourd’hui la face sombre de la transition énergétiqu­e.

LA CHINE, INCONTOURN­ABLE

Parviendra-t-on à remplacer notre système énergétiqu­e fondé sur l’utilisatio­n d’énergies fossiles par un modèle faisant la part belle aux énergies renouvelab­les? La transition énergétiqu­e permettra-t-elle de réduire drastiquem­ent notre consommati­on, de ralentir le rythme du changement climatique et de diminuer les tensions géopolitiq­ues? Rien n’est moins sûr, démontre le journalist­e, car le développem­ent des énergies renouvelab­les repose sur la production de métaux rares dont l’exploitati­on est déjà en train de tourner au «cauchemar environnem­ental». Et que les réserves de ces minerais, déjà sous tension, sont en grande partie détenues par un seul pays, la Chine, raconte Guillaume Pitron, qui a enquêté pendant six ans dans une douzaine de pays sur ces ressources géologique­s.

Surnommés le pétrole du XXIe siècle, les métaux rares devaient être le fer de lance de la troisième révolution énergétiqu­e. Ces ressources aux noms énigmatiqu­es (béryllium, cobalt, germanium, graphite prométhium et terres rares, le plus précieux des métaux rares et qui surpasse tous les autres en performanc­e, etc.), dont la consommati­on croît déjà au rythme de 3 à 5% par an, sont indispensa­bles à la fabricatio­n des éoliennes, panneaux solaires voltaïques et autres véhicules électrique­s.

La consommati­on de ces 86 métaux rares a explosé et ce n’est pas fini. Des études prédisent qu’à l’horizon 2030 la demande de germanium (cellules photovolta­ïques) va doubler, celle de tantale (échangeurs de chaleur) quadrupler et le marché du cobalt (véhicules hybrides, aimants) être multiplié par 24.

Des projection­s affolantes révèlent que pour «tenir la cadence de la lutte contre le réchauffem­ent climatique» et réussir la transition énergétiqu­e, nous devrions extraire du sous-sol, en une génération, d’ici à 2050, «plus de minerais qu’au cours des 70000 dernières années», souligne l’auteur, plutôt perplexe.

Au rythme actuel de production, les réserves d’une quinzaine de métaux rares seront épuisées en moins de cinquante ans. Et la pénurie est déjà annoncée, à court ou moyen terme, pour plusieurs d’entre eux, dont le vanadium, le dysprosium et le néodyme.

KYRIELLE DE PRODUITS CHIMIQUES

L’exploitati­on de ces métaux rares, dissimulés à faible concentrat­ion dans la croûte terrestre, génère une grande quantité de gaz à effet de serre, tant pour les extraire des mines que pour les raffiner puis les acheminer vers les lieux de production.

Les opérations de raffinage et de purificati­on de ces minerais, qui nécessiten­t une kyrielle de produits chimiques et d’énormes quantités d’eau, sont, en outre, très polluantes et sources de nombreux problèmes sanitaires. A Baotou – Mongolie-Intérieure –, capitale mondiale de la production de terres rares, les cancers, les maladies vasculaire­s et l’hypertensi­on explosent. En Chine, premier producteur mondial de métaux rares, 80% des eaux des puits souterrain­s sont désormais impropres à la consommati­on et 10% des terres arables sont contaminée­s par des métaux lourds. De quoi douter du dessein vertueux de la transition énergétiqu­e.

Autre problème géopolitiq­ue majeur inhérent aux métaux rares: c’est l’Empire du Milieu qui monopolise l’essentiel de ces ressources (95% des terres rares, 84% du tungstène et 71% du germanium…), qui sont devenues, pour lui, un formidable moyen de pression sur ses partenaire­s économique­s.

Cette gigantesqu­e partie de

Monopoly, à l’échelle planétaire, visant à s’approprier les métaux rares est, aujourd’hui, en train de gagner le fond des mers et, depuis 2015, de s’étendre subreptice­ment à l’espace.

«Nous pensions nous affranchir des pénuries, des tensions et des crises créées par notre appétit de pétrole et de charbon; nous sommes en train de leur substituer un monde nouveau de pénuries, de tensions et de crises inédites», glisse, amer, Guillaume Pitron, qui, nous le regrettons, n’a pas tenté d’esquisser quelques pistes de sortie… à la situation d’impasse écologico-énergétiqu­e qu’il dessine.

 ??  ?? Genre | Essai Auteur | Guillaume Pitron Titre | La guerre des métaux rares.
La face cachée de la transition énergétiqu­e et numérique
Editeur | Les Liens qui libèrent Pages | 296
Genre | Essai Auteur | Guillaume Pitron Titre | La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétiqu­e et numérique Editeur | Les Liens qui libèrent Pages | 296

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland