PEUR SUR LIBREVILLE
Dans «Le festin de l’aube», l’écrivain gabonais Janis Otsiemi met en scène la fragilité et les dérives de son pays dans une langue toujours aussi riche et savoureuse
Un roman noir qui, tout à la fois, vous fait frissonner et rire, c’est inestimable. Le festin de l’aube du Gabonais Janis Otsiemi a cette vertu. Il s’avère en outre radicalement dépaysant. En quelques phrases bien frappées où l’humour souvent affleure, l’auteur – né en 1976 à Franceville – nous plonge au coeur de la capitale Libreville et de ses quartiers populaires. Dans ce sixième polar publié aux Editions Jigal, on épouse ainsi les humeurs du temps, on s’instruit des magouilles politiques des uns et du clientélisme des autres tout en dégustant quelques mets typiques comme le «plat Lacoste» (du crocodile, vous l’aurez deviné!) ou «le sanglier à l’odika» (un chocolat indigène) à faire descendre de préférence avec un grand verre d’eau.
Mais commençons par le début. Revenons à cette nuit de fête qui, pour le lieutenant Louis Boukinda, se terminera fort mal. Alors qu’il rentre en voiture d’un mariage avec sa compagne, sous une pluie battante, quelque chose vient heurter «le flanc droit» du véhicule. Vérification faite, il s’agit d’une femme quasi nue et qui semble en très mauvais état. Elle n’est toutefois pas morte, pas encore. A l’hôpital où elle est admise d’extrême urgence, les médecins vont faire une bien terrifiante découverte. Non seulement la jeune femme a été torturée et violée mais elle porte sur le corps d’innombrables piqûres de serpents, qui rapidement lui seront fatales.
MAIN BASSE SUR UN ARSENAL DE GUERRE
Bouleversé, Boukinda retourne sur les lieux de l’accident en compagnie de son collègue et fidèle ami Hervé Henvame. Les deux gendarmes vont tout mettre en oeuvre pour découvrir l’identité de la victime et de son bourreau.
Elle porte sur le corps d’innombrables piqûres de serpents qui lui seront fatales
Et voilà que, simultanément, non loin de là, une deuxième affaire criminelle éclate, mobilisant le capitaine Pierre Koumba, directeur des Affaires criminelles de la PJ, et son adjoint Jacques Owoula. Pour eux, pas question de profiter des bureaux tout neufs qui viennent de leur être attribués. Des individus non identifiés ont taillé un trou dans le grillage pour pénétrer dans le camp militaire Julien Ngari. Ils y ont dérobé une grande quantité d’armes et d’explosifs. Un vrai petit arsenal de guerre!
On craint le pire dans le climat déjà tendu et délétère qui précède les prochaines élections présidentielles. Et la catastrophe ne se fait pas attendre. Un sanglant braquage transforme tout un quartier en zone sinistrée et fait de nombreux morts. C’est alors que, de façon totalement imprévisible, les deux enquêtes temporairement se rejoignent.
JAMES ELLROY ET SAN ANTONIO
La suite? Pas de retournement fracassant, pas d’imbroglio diabolique et virtuose. Dans Le festin
de l’aube, l’intrigue, le suspense et la structure du récit restent assez classiques. Se revendiquant tout à la fois de James Ellroy et San Antonio, Janis Otsiemi répète volontiers qu’il est entré dans le polar par effraction et qu’il se soucie avant tout d’écrire l’histoire contemporaine de son pays et de ses habitants.
Outre dans l’intime connaissance du monde qu’il évoque, sa force réside dans sa langue. Une langue incroyablement inventive, verte et rebelle où fleurissent en liberté l’argot et les néologismes. Chez Otsiemi, le conducteur d’une voiture installe son passager «à la place du mort» avant de lui «cadeauter» une tape sur l’épaule. Il essuie ensuite «la buée qui s’était cachetée sur la vitre de son côté» avant d’enfin briser «le cou au silence».
Avec lui, on parle aussi de crises de nerfs sciatiques et de «coraniser» (apprendre par coeur) un numéro de téléphone. Chaque chapitre commence en outre par un proverbe. Du genre: «Celui qui porte des oeufs dans un sac de voyage ne s’amuse pas à danser.» De quoi se régaler.