STUPEUR À TIRANA
Avec «Les assassins de la route du Nord», Anila Wilms nous plonge dans l’Albanie des années 1920. Un pays tout jeune et prêt à s’embraser
Un polar albanais! Voilà qui, en soi déjà, mérite l’attention. Ce petit roman insolite et dépaysant a toutefois bien d’autres atouts que sa rareté. Inspiré par un fait réel, Les assassins de la route du Nord d’Anila Wilms nous fait découvrir, de l’intérieur, l’histoire et la culture singulières d’un pays qui vécut si longtemps à l’écart de nos regards. De l’intérieur, oui, car Anita Wilms est née en 1971 à Tirana, où elle a fait ses études avant de partir, en 1994, pour Berlin avec une bourse. Elle vit depuis lors en Allemagne, où son livre a reçu le Stuttgarter Krimipreis.
Retour en Albanie, au début du XXe siècle. Nous sommes en avril 1924. Deux jeunes Américains sont assassinés sur le pont de la Droja, à Mamurras, sur la route du Nord. Une région encore régie par le fameux Kanun – code ancestral de droit coutumier – qui place l’hospitalité au rang des plus hautes vertus. A Tirana, l’annonce de leur mort fait l’effet d’une bombe. On craint pour l’équilibre précaire de ce pays tout neuf et souvent malmené qui, devenu indépendant en 1912 après cinq cents ans de domination ottomane, fut ensuite «occupé par sept armées en même temps» durant la Première Guerre mondiale.
PSEUDO-COUPABLES EXÉCUTÉS
Mais qu’allaient donc faire ces Américains dans le Nord? Etaient-ils liés aux entreprises internationales qui se livrent une lutte acharnée pour s’approprier les prétendues richesses pétrolières de la région? Dans les cafés, les suppositions vont bon train. L’auteur nous convie aussi dans le salon plus feutré de Julius G. Grant, l’émissaire des Etats-Unis à Tirana, arrivé en poste un an plus tôt. C’est à travers son regard parfois déconcerté et les rapports qu’il envoie à Washington que l’on découvre le fonctionnement du pays, l’exécution arbitraire des pseudo-coupables, les diverses factions politiques qui s’affrontent et le rôle clé joué dans l’administration par les nombreux émigrés albanais de retour au pays après avoir vécu en Amérique, à Vienne, Paris, Londres ou Leipzig.
Grant est par ailleurs troublé par le curieux sentiment de froideur et d’austérité qui émane de la ville et dont il finit par s’expliquer l’origine: l’«absence de féminité». «Dans les rues de Tirana, on ne voyait pas une seule femme, écrit l’auteur. Les deux sexes semblaient mener des vies séparées.»