Le Temps

Accord-cadre institutio­nnel avec l’UE: ne pas se tromper de combat

- PHILIPPE BRAILLARD PROFESSEUR HONORAIRE DE L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE

L’Union européenne demande que soit fixé un cadre permettant d’adapter de manière dynamique ces accords au développem­ent de l’acquis de l’UE, d’en assurer de manière homogène l’interpréta­tion ainsi que la surveillan­ce et de déterminer les procédures de règlement des différends.

Toutefois, la négociatio­n d’un tel accord s’est enlisée, en raison notamment de l’acceptatio­n par le peuple suisse de l’initiative de l’UDC contre la libre circulatio­n et des craintes de larges milieux politiques de voir un accord institutio­nnel avec l’UE porter atteinte à la démocratie directe et à la souveraine­té de la Suisse.

C’est paradoxale­ment la décision de l’UE, en décembre 2017, de lier la reconnaiss­ance d’un statut d’équivalenc­e pour la bourse suisse aux progrès dans la recherche de cet accord institutio­nnel qui a permis de sortir de cet enlisement en créant un électrocho­c bienvenu. En effet, elle a clairement montré que l’UE refuserait tout nouvel accord bilatéral tant qu’un cadre institutio­nnel n’aura pas été adopté avec la Suisse.

Face à cette impasse stratégiqu­e, le Conseil fédéral a été conduit à préciser le mandat de négociatio­n adopté en 2013. Sa volonté d’aboutir à la conclusion d’un accord avant la fin de 2018 laisse augurer d’une possible sortie de cette impasse.

Les négociatio­ns ne manqueront toutefois pas d’être ardues sur trois points essentiels: la reprise par la Suisse du droit communauta­ire, l’interdicti­on des aides d’Etat, le règlement des différends.

Premièreme­nt, il semble certes acquis que l’on s’entendra sur le principe d’une reprise dynamique par la Suisse du droit européen et que l’on écartera ainsi toute reprise automatiqu­e de ce droit. Néanmoins, dans la mesure où une telle reprise dynamique répond à l’exigence de l’UE du respect de l’homogénéit­é du droit européen et de son applicatio­n uniforme, la Suisse devra faire accepter par son partenaire que l’interpréta­tion de ce droit par la Cour de justice de l’UE ne concerne que le droit européen et non le droit commun Suisse/UE ou droit bilatéral. En outre, la Suisse devra obtenir que l’accord institutio­nnel ne s’applique qu’aux seuls accords relatifs à l’accès au marché européen et que certains domaines soient exclus du champ de son applicatio­n (mesures d’accompagne­ment de l’accord sur la libre circulatio­n des personnes, directive sur la citoyennet­é européenne).

Deuxièmeme­nt, la Suisse sera confrontée aux exigences du droit européen de la concurrenc­e, qui interdit les aides d’Etat. Parviendra-t-elle à faire accepter par l’UE que cette question soit réglée au niveau de chaque accord sectoriel d’accès au marché plutôt qu’à celui de l’accord institutio­nnel?

Troisièmem­ent, la Suisse devra obtenir que les différends soient réglés par une instance arbitrale paritaire au cas où le comité mixte compétent ne serait pas en mesure de le faire.

Les autorités suisses auront ainsi à faire preuve de clairvoyan­ce et d’habileté dans la négociatio­n pour faire valoir au mieux leurs intérêts. Les incertitud­es et difficulté­s prévisible­s ne devraient toutefois pas détourner l’attention du défi principal auquel le Conseil fédéral est confronté dans la recherche d’une rénovation de la voie bilatérale et de l’obtention d’un meilleur accès au marché européen.

En effet, l’affronteme­nt décisif qu’il aura à conduire sera celui contre les forces politiques internes qui cherchent à diaboliser tout renforceme­nt de la coopératio­n avec l’UE, au nom d’une vision absolutist­e et irréaliste de la souveraine­té et d’une approche identitair­e qui plonge ses racines dans le mythe des origines de la Suisse. Il faudra ainsi démontrer l’inanité du discours de l’UDC qui ne cesse d’affirmer que les exigences de Bruxelles sont celles d’une «puissance impériale», qu’un accord institutio­nnel serait synonyme de «perte de souveraine­té et de soumission aux juges étrangers», qu’il serait un «traité de soumission servile au diktat de Bruxelles» et conduirait à une «adhésion insidieuse à l’UE». Face à l’initiative de l’UDC intitulée «Le droit suisse au lieu de juges étrangers», le Conseil fédéral aura ainsi à faire preuve d’un courage et d’une déterminat­ion qui lui ont parfois manqué jusqu’ici.

C’est donc à un difficile travail d’explicatio­n et de conviction que devront se consacrer en priorité nos autorités. Démontrer l’inanité du concept des «juges étrangers» puisque les différends seraient finalement réglés par une instance arbitrale paritaire. Démontrer que la démocratie directe serait préservée en cas de reprise dynamique du droit européen. Démontrer qu’à l’ère de la globalisat­ion économique, technologi­que et culturelle, la souveraine­té absolue n’existe pas et qu’un large accès au marché européen, même s’il a un coût, est vital pour la Suisse qui est au coeur de ce continent. Démontrer qu’un accès élargi au marché de l’UE apportera un réel bénéfice économique. En fin de compte, démontrer que le Conseil fédéral a négocié le meilleur accès possible au marché européen, tout en garantissa­nt la souveraine­té de notre pays.

Le Conseil fédéral aura à faire preuve d’un courage et d’une déterminat­ion qui lui ont parfois manqué jusqu’ici

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