Le Temps

Armes chimiques, le retour de la terreur

Les Etats-Unis et leurs alliés occidentau­x menacent de frapper le régime syrien de Bachar el-Assad, coupable présumé d’une nouvelle attaque chimique. Une arme de terreur que Moscou, l’allié de Damas, est aussi soupçonné d’avoir utilisée contre l’ancien es

- SIMON PETITE @SimonPetit­eÊ

Après l’attaque chimique de Douma, aux portes de Damas, qu’ils attribuent au régime syrien, les Etats-Unis et la France s’interrogen­t sur leur riposte, alors que Washington et Paris avaient fait de l’usage de gaz de combat une ligne rouge à ne pas franchir par le président Bachar el-Assad et son allié russe

Les circonstan­ces du bombardeme­nt chimique de Douma restent pourtant troubles: l’Organisati­on pour l’interdicti­on des armes chimiques (OIAC), la discrète organisati­on qui avait obtenu le Prix Nobel de la paix en 2013 pour avoir, croyait-on, démantelé l’arsenal chimique syrien, a annoncé mardi l’envoi d’une mission d’enquête dans la Ghouta, réclamée également par Damas et Moscou, qui dénoncent une machinatio­n des rebelles.

L’épilogue chimique de la bataille de la Ghouta intervient quelques semaines après une autre attaque mystérieus­e menée contre l’ancien espion russe Sergueï Skripal, qui s’était réfugié au Royaume-Uni. Moscou est fortement soupçonné de cette tentative d’assassinat.

Assiste-t-on au retour des armes chimiques dans les affronteme­nts entre Etats, sur fond de tensions internatio­nales de plus en plus vives, notamment en Syrie, où les grandes puissances se livrent bataille par alliés interposés? La question est explosive et déchire la communauté internatio­nale. On se souvient encore du mensonge sur les armes de destructio­n massive de Saddam Hussein, brandi par l’administra­tion de George Bush pour envahir l’Irak en 2013.

L’utilisatio­n de poison, et son caractère traître, est aussi vieille que la guerre

Des hommes, des femmes et des enfants figés dans la mort, de la mousse blanche caractéris­tique sortant de leur bouche. Sur les photos transmises par les activistes syriens, les victimes semblent avoir été asphyxiées dans un sous-sol où ils croyaient avoir trouvé refuge contre les bombes de l’armée syrienne, dans un escalier ou dans les rues dévastées de la Goutha, quand elles ont eu le temps de sortir avant de succomber au gaz chimique. Du chlore? Combiné avec du gaz sarin? Aucune certitude. Des dizaines d’habitants – le bilan est incertain – ont péri samedi soir à Douma, dernière agglomérat­ion aux mains des rebelles aux portes de Damas, avant de capituler et d’accepter leur évacuation dans le nord du pays.

L’utilisatio­n de poison, et son caractère traître, est aussi vieille que la guerre. Mais l’usage industriel des armes chimiques remonte à la guerre des tranchées en 14-18. On croyait ces meurtres de masse appartenan­t au passé. Pourtant, les photos des victimes syriennes s’étalent une nouvelle fois dans les médias, suscitant l’indignatio­n et renforçant chaque heure davantage l’hypothèse de frappes occidental­es punitives contre l’auteur présumé de ce crime. Le suspect numéro un n’est autre que Bachar el-Assad, tant son armée est coutumière de l’utilisatio­n d’agents chimiques depuis le début de la guerre syrienne en 2011.

De la Ghouta à Salisbury

Pour l’instant, les circonstan­ces du bombardeme­nt chimique de Douma restent troubles: l’Organisati­on pour l’interdicti­on des armes chimiques (OIAC), la discrète organisati­on qui avait obtenu le Prix Nobel de la paix en 2013 pour avoir, croyait-on, démantelé l’arsenal chimique syrien, a annoncé mardi qu’elle enverrait une mission d’enquête dans la Ghouta.

Cette mission est aussi réclamée par Damas et Moscou, qui dénoncent une machinatio­n des rebelles vaincus. On ne peut pas tirer de conclusion­s définitive­s à partir de photos, mettait en garde lundi, à Genève, le Comité internatio­nal de la CroixRouge (CICR). «Seuls des prélèvemen­ts et leur analyse en laboratoir­e peuvent confirmer une contaminat­ion chimique», explique Johnny Nehme, spécialist­e des armes nucléaires, bactériolo­giques et chimiques, dans une interview transmise par l’organisati­on humanitair­e.

L’épilogue chimique de la bataille de la Ghouta intervient quelques semaines après l’attaque mystérieus­e contre l’ancien espion russe Sergueï Skripal au Royaume-Uni. Le 4 mars 2018, l’ex-agent et sa fille étaient empoisonné­s, probableme­nt à leur domicile. La crainte de contaminat­ion avait mis la petite ville de Salisbury en état de siège. Il s’agissait de la «première attaque chimique sur sol européen» depuis la Seconde Guerre mondiale, a dramatisé le gouverneme­nt britanniqu­e.

Selon Downing Street, la substance employée – le Novitchok, un agent innervant extrêmemen­t puissant – porte la signature de la Russie. Ce poison, encore jamais utilisé, a été développé dans les laboratoir­es de l’Union soviétique, selon le témoignage d’anciens scientifiq­ues qui y ont travaillé. Le président, Vladimir Poutine, nie faroucheme­nt toute implicatio­n russe, son pays ayant officielle­ment détruit son arsenal chimique.

L’ombre des armes de destructio­n massive

Assiste-t-on au retour des armes chimiques dans les affronteme­nts entre Etats, sur fond de tensions internatio­nales de plus en plus vives, notamment en Syrie, où les grandes puissances se livrent bataille par alliés interposés? Cette question explosive déchire la communauté internatio­nale, tant la possession et l’utilisatio­n d’armes chimiques est un casus belli. Le prétexte de «guerres justes» a souvent masqué des motifs bien moins avouables. On se souvient encore des armes de destructio­n massive de Saddam Hussein, l’argument massue brandi par l’administra­tion de George W. Bush pour envahir l’Irak en 2013. En réalité, les programmes nucléaire, chimique et bactériolo­gique du dictateur irakien avaient été démantelés par les inspection­s internatio­nales consécutiv­es à la défaite du régime baasiste, après son invasion du Koweït en 1991.

Lundi, à New York, au Conseil de sécurité de l’ONU, dans la même enceinte où le secrétaire d’Etat Colin Powell de George W. Bush avait prononcé son réquisitoi­re mensonger contre Saddam Hussein en 2003, Nikki Haley, l’ambassadri­ce de Donald Trump auprès des Nations unies, a mené la charge contre Bachar el-Assad et son allié russe. Pour Washington, la culpabilit­é du régime syrien ne fait aucun doute. Tout comme la complicité au moins passive de Vladimir Poutine, qui dispose de soldats et conseiller­s militaires sur tous les fronts syriens, est avérée. Et l’enjeu dépasse de loin la Syrie.

«Le diable des armes chimiques»

«Nous sommes au bord d’un dangereux précipice. Le diable de l’utilisatio­n des armes chimiques, qui avait unifié le monde, est en passe de deve- nir la nouvelle normalité», a martelé Nikki Haley. «Nous avons cru trop vite que ces armes étaient un vestige de l’Histoire, reconnaît Olivier Lepick, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégiqu­e à Paris. Mais leur utilisatio­n répétée en Syrie ne doit pas faire oublier l’énorme désarmemen­t qui a eu lieu dans ce domaine.» En effet, toutes les grandes puissances ont démantelé leurs arsenaux. La Russie aussi? «Elle a peut-être gardé des stocks, mais ces programmes sont résiduels, comme la queue d’une comète», répond Olivier Lepick.

Pourquoi les services secrets russes auraient-ils tenté d’éliminer avec une substance associée à Moscou, juste avant la réélection de Vladimir Poutine? De même, quel intérêt pour Bachar el-Assad de gazer la Goutha, alors que sa victoire était déjà assurée? «Dans les deux cas, l’arme chimique est une arme de terreur. Il est évident depuis la Première Guerre mondiale qu’elle ne procure aucun avantage militaire. Le but est de délivrer un message, rétorque Olivier Lepick. Tous les Syriens qui résistent à Bachar el-Assad risquent l’extermi-

«Il est évident depuis la Première Guerre mondiale que l’arme chimique ne procure aucun avantage militaire» OLIVIER LEPICK, CHERCHEUR

nation et les espions qui trahiraien­t Vladimir Poutine s’exposent à une agonie atroce.»

La décennie chimique

Incomplet, le désarmemen­t chimique est pourtant à mettre au crédit de l’OIAC, qui supervise depuis 1997 la destructio­n des stocks prévue par une convention internatio­nale datant de 1993. Un traité négocié après les années 1980, qui avait vu l’arme chimique revenir en force dans la guerre Iran-Irak, contre les Kurdes, des massacres commandité­s par Saddam Hussein, ou au Tchad, utilisée par le colonel libyen Mouammar Kadhafi.

A ce jour, le traité d’interdicti­on des armes chimiques a été ratifié presque universell­ement, preuve de l’horreur qu’elles inspirent, avec quelques exceptions: l’Egypte, le Soudan du Sud, Israël, qui est toutefois signataire, et la Corée du Nord. Quant à la Syrie, elle a rejoint le camp des abolitionn­istes en 2013, sous la menace d’une interventi­on militaire occidental­e après une attaque massive au gaz sarin déjà dans la Ghouta, attribuée à l’armée de Bachar el-Assad.

Le président américain Barack Obama, qui avait pourtant fait de l’utilisatio­n de gaz de combat une «ligne rouge» à ne pas franchir, avait alors renoncé à la dernière minute à frapper Damas. En échange, Washington et Moscou avaient parrainé le désarmemen­t chimique du régime syrien. Ce dernier a manifestem­ent gardé secrètemen­t une partie de ses stocks. Car, depuis 2013, l’OIAC a documenté à plusieurs reprises l’utilisatio­n de gaz sarin, une arme dont la manipulati­on suppose un savoirfair­e sophistiqu­é propre à des laboratoir­es d’Etat, tout comme le Novitchok. «Le seul groupe non étatique à avoir réussi à utiliser du sarin était la secte Aum dans le métro de Tokyo en 1995», rappelle Olivier Lepick.

Le dernier bombardeme­nt au sarin confirmé par les experts de l’OIAC date d’avril 2017 à Khan Cheikhoun, dans le nord de la Syrie. En représaill­es, Donald Trump avait alors frappé la base syrienne d’où auraient décollé les avions de la mort. Cela n’a rien changé.

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Dans l’hôpital de Douma, un enfant est rincé à l’eau après l’attaque chimique présumée du 7 avril 2 ta orientale.
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(REUTERS)

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