Le Temps

De la riposte à la stratégie

- LUIS LEMA @luislema

Il est des images qui changent le monde, ou qui du moins devraient le changer. Voir un enfant suffoquer, la bouche et les narines emplies de mousse blanche, puis se débattre tandis qu’il s’asphyxie et finit par se figer, devrait être de celles-là. Si c’est à ce type de scènes que l’on juge le degré atteint par l’humanité en ce début de XXIe siècle, le genre humain a intérêt à agir vite; et de manière déterminée.

Même si, pour des raisons d’opportunit­é politique, il n’aurait jamais dû être appelé de ce nom-là, l’usage d’armes chimiques – a fortiori délibéréme­nt adressé contre des enfants et des civils afin non seulement de les tuer mais aussi de terroriser les survivants – est une «ligne rouge». Ce qui tient lieu de «communauté internatio­nale» a raison de proclamer qu’elle doit rester infranchis­sable. Quitte à assumer l’hypocrisie de la production de quantité d’autres armes tout aussi meurtrière­s, et du commerce juteux dont elle bénéficie.

L’usage d’armes chimiques heurte l’humanité dans son essence même. Point. Même, et peut-être surtout, s’il a eu lieu dans la Ghouta orientale, au coeur de ce conflit syrien qui hante la conscience de la planète depuis sept ans déjà, et qui risque à tout moment de la plonger dans un gouffre sans fond. Mais c’est là que réside un paradoxe phénoménal. Il n’y a pas si longtemps, dans cette même région, c’est cette même humanité qui se sentait aux prises avec une autre menace d’un même genre: ces carnages commis par le prétendu Etat islamique, ces abominable­s mises en scène, cette furie sanguinair­e, qui trouvent leurs développem­ents dans les attentats qui continuent de frapper un peu partout, et que nul n’a besoin de qualifier de «ligne rouge», tant ils dépassent les bornes de l’intelligib­le.

Vertige! Car celui qui s’est rendu coupable de l’emploi de gaz toxiques (en vérité à de nombreuses reprises et de manière quasi routinière) avait fini par apparaître comme le meilleur rempart, ou au moins comme un pis-aller, face à ces autres monstres. L’affaire est plus grave encore, puisque ce n’est pas seulement le régime syrien qui est en accusation, mais aussi ses principaux soutiens, l’Iran et la Russie, dont on se demande à quel point ils croient euxmêmes dans les justificat­ions abracadabr­antes qu’ils mettent en avant pour défendre leur protégé.

Lutter contre la barbarie chimique? Mais à quel prix, et avec quelles conséquenc­es? Alors qu’il a déjà prouvé par ses multiples volte-faces qu’il se soucie de la Syrie comme d’une guigne, le président Donald Trump semble guidé par une seule motivation réelle: faire l’inverse de son prédécesse­ur Barack Obama, qui avait baissé les bras face à la catastroph­e. Le moteur premier de son principal allié potentiel, Emmanuel Macron, semble être, quant à lui, de ne pas (trop) se déjuger, tout en gardant un oeil sur sa future visite en Russie. De quoi, sans doute, susciter une riposte, mais qui sera difficile à traduire en une stratégie cohérente face à un tel défi.

L’usage d’armes chimiques heurte l’humanité dans son essence

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