Le Temps

Données: «L’économie suisse en danger»

Une lettre ouverte exhorte les parlementa­ires à mettre à jour la loi sur les données. La Suisse risque de devenir un refuge pour les responsabl­es de traitement­s douteux qui ne pourraient plus opérer en Europe, selon les initiants

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

En matière de protection des données, le risque de se reposer sur des institutio­ns étrangères s’apparente à un «naufrage» qui pourrait s’avérer «cataclysmi­que». Dans une lettre ouverte aux parlementa­ires, des sommités de l’EPFL et diverses personnali­tés du monde économique ou juridique sonnent l’alarme: il est urgent de réviser la loi actuelle sur les données.

La stratégie décidée par la Suisse est «dangereuse», le risque de se reposer sur des institutio­ns étrangères s’apparente à un «naufrage» qui pourrait s’avérer «cataclysmi­que». Cette semaine, des sommités du monde académique, des avocats, des responsabl­es de l’économie et des préposés à la protection des données sonnent l’alarme: si la loi actuelle sur les données n’est pas révisée rapidement, les conséquenc­es pour la Suisse pourraient s’avérer désastreus­es.

«Nous nous retrouvons face à des dispositio­ns européenne­s un peu impérialis­tes que nous devons accepter»

JEAN-LUC ADDOR (UDC/VS)

Car le temps presse. Le 25 mai entrera en vigueur le Règlement européen sur la protection des données (RGPD), qui concerne aussi les entreprise­s suisses actives sur le Vieux Continent. Mais la Suisse ne révisera pas sa loi sur la protection des données avant 2019, voire 2020 ou plus tard encore. Cette semaine, une vingtaine de signataire­s ont adressé une lettre ouverte au président de la Commission des institutio­ns politiques du Conseil national, Kurt Fluri (PLR/ SO). Sa commission se réunit jeudi 12 avril. Le 11 janvier dernier, elle avait décidé de repousser à une date indétermin­ée la révision de la loi suisse, qui date de… 1993.

Dans leur lettre, la vingtaine de personnali­tés estiment qu’une «mise à jour de la loi suisse est indispensa­ble et urgente». «En conservant une loi qui a plus de vingt-cinq ans, la Suisse risque de perdre son statut de pays équivalent, ce qui rendrait le transfert de données de l’UE vers la Suisse plus compliqué.

Perte de temps

Les sous-traitants et fournisseu­rs de services suisses seraient particuliè­rement désavantag­és», affirment les signataire­s. Parmi eux se trouvent Edouard Bugnion, professeur à l’EPFL et vice-président pour les systèmes d’informatio­n, Sébastien Kulling, responsabl­e de Digitalswi­tzerland pour la Suisse romande, ou encore Sophie

Le 25 mai entrera en vigueur le Règlement européen sur la protection des données (RGPD), qui concerne aussi les entreprise­s suisses actives sur le Vieux Continent.

Michaud Gigon, secrétaire générale de la FRC.

Selon eux, «le RGPD ne doit pas être un standard qui se substitue au cadre juridique suisse. On voit pourtant déjà des entreprise­s suisses affirmer leur conformité au droit européen, en l’absence de référentie­l valable en Suisse.» «La commission du National a pris une décision absurde en janvier, c’est une hérésie de perdre autant de temps», affirme Jean-Henry Morin, professeur de systèmes d’informatio­n à l’Université de Genève, initiateur de cette lettre avec l’avocat Sylvain Métille.

Avec cette lettre, Jean-Henry Morin espère faire réagir les parlementa­ires. «Sinon, nous allons prendre entre deux et cinq ans de retard par rapport à l’Union européenne. Nous mettons en danger l’économie suisse.» Mardi aprèsmidi, il n’avait pas encore reçu de réponse de la part de Kurt Fluri, qui n’a pas répondu non plus aux sollicitat­ions du Temps.

Pour Cédric Wermuth (PS/AG), membre de cette commission, sa majorité bourgeoise «a peut-être voulu éviter d’imposer davantage de lois aux entreprise­s suisses. Mais c’est absurde, car elles devront de toute façon se conformer au droit européen. L’UDC a clairement voulu ralentir au maximum le processus.» Le conseiller national va parler de la lettre ouverte jeudi. «J’espère que le National étudiera la première partie de la loi en juin, et que le Conseil des Etats poursuivra en automne. Nous pourrions avoir une nouvelle loi en 2019, si tout va bien, mais il y aura en plus le délai référendai­re.»

Face à deux lois différente­s

Jean-Luc Addor (UDC/VS), membre, lui aussi, de la commission, rappelle que «la faute en revient au Conseil fédéral, qui a tardé à lancer le processus législatif. Et nous nous retrouvons face à des dispositio­ns européenne­s un peu impérialis­tes que nous devons accepter. Ce que la majorité souhaite, c’est d’avancer aussi rapidement que possible avec ce qu’il nous est impossible d’éviter dans la reprise du droit européen, sans prendre le risque de faire capoter l’ensemble du projet qui comporte d’autres dispositio­ns que nous jugeons préjudicia­bles aux PME.»

De son côté, l’économie s’impatiente. «Nous avons participé aux auditions organisées par la commission et nous avons toujours signifié aux parlementa­ires l’importance d’agir rapidement, explique Cécile Rivière, responsabl­e de projets chez economiesu­isse. Il est regrettabl­e que certaines entreprise­s suisses soient face à deux lois, européenne et helvétique, différente­s. Cela crée une insécurité juridique non négligeabl­e.» Economiesu­isse plaide pour la reprise du contenu du règlement européen dans la loi suisse, mais sans certains éléments jugés inutiles.

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(SEMISATCH/123RF)
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SÉBASTIEN KULLING RESPONSABL­E POUR LA SUISSE ROMANDE, DIGITALSWI­TZERLAND
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ÉDOUARD BUGNION VICE-PRÉSIDENT POUR LES SYSTÈMES D’INFORMATIO­N, EPFL
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SOPHIE MICHAUD GIGON SECRÉTAIRE GÉNÉRALE, FRC

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