Le Temps

«Les renvois en Erythrée sont licites»

AFRIQUE En tête des demandes d’asile en Suisse en 2017, les ressortiss­ants érythréens étaient jusqu’alors protégés dans leur ensemble d’un renvoi dans leur pays. Cela devrait désormais changer, comme l’explique Mario Gattiker, secrétaire d’Etat aux migrat

- PROPOS RECUEILLIS PAR BORIS BUSSLINGER ET BERNARD WUTHRICH, BERNE @BorisBussl­inger, @BdWuthrich

Le renvoi d’Erythréens dans leur patrie d’origine est licite et exigible, a statué le Tribunal administra­tif fédéral (TAF) dans un arrêt d’août 2017. A deux conditions: il faut que l’individu ait déjà effectué son service obligatoir­e avant de quitter l’Erythrée ou qu’il dispose du statut de «membre de la diaspora» défini par Asmara. Sur la base de cette décision, le Secrétaria­t d’Etat aux migrations (SEM) considère que 3200 ressortiss­ants de ce pays sont désormais éligibles à un «retour volontaire». Environ 200 d’entre eux ont déjà été contactés. Ils disposent d’un mois pour avancer des raisons qui pourraient s’opposer à leur retour. Le Temps a rencontré Mario Gattiker, secrétaire d’Etat aux migrations, pour en parler.

La situation a-t-elle évolué en Erythrée pour qu’on puisse envisager le retour de certains de ses ressortiss­ants? La Suisse offre une protection uniquement à ceux qui en ont besoin. En ce qui concerne l’Erythrée, le SEM a constaté que le pays ne connaissai­t pas une situation de violence généralisé­e et qu’y retourner n’était pas dans tous les cas inexigible. Les opposants politiques ne seront par ailleurs pas touchés par cette mesure. Le TAF soutient en outre notre position et a également estimé qu’un individu qui a déjà servi ou qui ne peut pas être recruté ne se trouve pas en danger concret de persécutio­n. J’ajoute que nous évaluons constammen­t la situation du pays, ce pour quoi nous sommes actuelleme­nt à la pointe en Europe. Comment peut-on être sûr que les personnes renvoyées ne seront pas exposées à des actes de répression? Le CICR ne dispose lui-même que d’un accès limité aux prisons du pays. Il n’existe pas de garantie incontesta­ble. Nous arrivons cependant à la conclusion que, pour certaines catégories de personnes, il n’existe pas de risque concret. Cette décision se base sur des témoignage­s de diasporas érythréenn­es à l’étranger, notamment en Ethiopie et au Soudan, sur des rapports d’ambassades, d’organisati­ons internatio­nales et non gouverneme­ntales, ainsi que sur des missions organisées sur place ou encore des sources provenant de l’opposition au régime.

Il n’existe pas d’accord de réadmissio­n avec l’Erythrée. Comment être sûr que le pays acceptera bien de reprendre ses ressortiss­ants? Parmi les pays d’origine des personnes qui demandent l’asile chez nous, seul un pays sur deux a un accord de réadmissio­n avec la Suisse. L’absence d’un tel traité ne signifie pas pour autant que des renvois sont impossible­s. La Côte d’Ivoire accueille par exemple des vols spéciaux sans aucune convention de ce type. En ce qui concerne l’Erythrée, le pays n’accepte certes pas de renvois forcés mais des retours volontaire­s sont possibles. Je précise que si la personne éligible à un retour volontaire ne s’en va pas, elle prend le risque de tomber dans l’aide d’urgence.

C’est là le bras de levier dont dispose la Suisse pour convaincre des «volontaire­s»? Je ne vois pas ça comme un bras de levier, mais comme l’applicatio­n de la loi. Il existe 9400 Erythréens admis provisoire­ment en Suisse. Certains ont obtenu ce statut alors qu’ils ne souffraien­t d’aucune persécutio­n, mais que des circonstan­ces particuliè­res, comme une maladie, le justifiaie­nt à ce moment-là. Leur statut n’est pas protégé par la Convention européenne des droits de l’homme ou par les Convention­s de Genève mais par la loi sur l’asile, que nous appliquons. Nous avons par ailleurs pour obligation de revoir le statut des personnes admises de manière provisoire à intervalle­s réguliers. Cela non seulement pour les Erythréens mais également pour toutes les autres communauté­s étrangères présentes sur le territoire suisse.

A combien se monte l’aide au départ fournie par la Confédérat­ion? La pratique en vigueur est d’allouer 1000 francs par individu. Dans des situations particuliè­res, cette somme peut être augmentée jusqu’à 4000 francs.

En ce qui concerne l’Ethiopie maintenant, où en sont les négociatio­ns concernant un accord migratoire? L’Ethiopie était un pays difficile en ce qui concerne le retour de ses ressortiss­ants. L’Union européenne (UE) est toutefois parvenue à un accord avec Addis-Abeba pour les renvois, volontaire­s ou non. Comme la Suisse est dans l’espace Schengen, nous reprenons les accords conclus par l’UE dans le domaine de la migration. J’ajoute qu’il est absolument nécessaire de procéder au renvoi de personnes qui n’ont pas besoin de notre protection afin d’éviter d’inciter des personnes à venir en Suisse pour profiter d’une aide sans motifs valables. Cet accord crédibilis­e la politique migratoire suisse et européenne et permet d’apporter la protection nécessaire aux personnes qui en ont besoin.

La Suisse sera appelée à collaborer avec les services secrets éthiopiens, régulièrem­ent dénoncés pour des violations des droits de l’homme par des organisati­ons comme Amnesty Internatio­nal. Est-ce cohérent de travailler avec un tel partenaire? Notre partenaire est l’autorité éthiopienn­e des migrations. Dans les décisions de renvoi, la situation des droits de l’homme dans le pays d’origine représente par ailleurs toujours un facteur important. Les décisions doivent toutefois être prises sur la base d’une évaluation individuel­le des risques encourus par chaque personne concernée. L’Ethiopie est un des plus grands pays d’Afrique, avec environ 90 millions d’habitants. La situation sur place n’est pas celle de violences généralisé­es. Les ressortiss­ants de ce pays en mesure de fournir des raisons valables peuvent bien entendu obtenir un statut de protection en Suisse. Les autres doivent quitter le territoire.

MARIO GATTIKER SECRÉTAIRE D’ÉTAT AUX MIGRATIONS «Les opposants politiques ne seront pas touchés par cette mesure» En novembre 2017, des Erythréens habitant en Suisse protestaie­nt sur la place des Nations à Genève contre le rapprochem­ent de la Confédérat­ion avec le régime de leur pays.

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(SALVATORE DI NOLFI/KEYSTONE)
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