Le lecteur de pensée, la fin du monde civilisé
Les tartuffes et autres hypocrites patentés peuvent trembler. Un jeune chercheur du prestigieux Massachusetts Institute of Techonology (MIT) vient de mettre au point un décodeur de pensée. Un appareil qui, au moyen de capteurs placés entre le menton et l'oreille, lit les mots avant qu'ils soient prononcés. Cette innovation, joliment nommée AlterEgo, pourrait pallier des déficits de langage et renforcer la sécurité.
Evidemment, un interrogatoire avec ce dispositif, c'est la garantie d'une transparence immaculée… Mais pour le moment, comme nous l'apprend 20 minutes, le décodeur ne reconnaît qu'un vocabulaire réduit, mais son concepteur, Arnav Kapur, est sûr qu'«on arrivera à une conversation complète, un jour». AlterEgo permet aussi d'interroger Google par la seule pensée.
Dans un premier temps, on sourit en imaginant les courtisans de la planète démasqués. On pense au Tartuffe de Molière, faux dévot et vraie canaille qui, par ses propos pieux et ses mines contrites, aurait dévalisé une famille bien née sans l'intervention futée de Dorine, la servante et vigile du foyer.
On pense aussi au Misanthrope du même Molière, qui aurait été ravi de coincer les petits marquis avec cette innovation enrayant la valse des flatteries. «Je veux que l'on soit homme, et qu'en toute rencontre/Le fond de notre coeur dans nos discours se montre;/ Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments/Ne se masquent jamais sous de vains compliments.»
Mais l'affaire n'est pas si simple. Philinte, le seul ami du Misanthrope – les autres ont fui! – le dit parfaitement: «Il est bien des endroits où la pleine franchise/Deviendrait ridicule et serait peu permise;/Et, parfois, n'en déplaise à votre austère honneur/Il est bon de cacher ce qu'on a dans le coeur.» Car oui, la sincérité sans filtre peut sembler chevaleresque, en réalité, c'est une plaie.
Pour commencer, elle blesse inutilement. Inutile de dire à une personne âgée qu'elle l'est, elle le sait bien et s'en accommode déjà difficilement. Ensuite, la sincérité rend aigres ceux qui la pratiquent, car ils se sentent seuls au monde, abandonnés dans leur croisade de la vérité. Enfin, et surtout, si elle évite le défaut de duperie, elle précipite son adepte dans le péché d'orgueil. Car qui possède vraiment la vérité? Et y a-t-il seulement une vérité? Tout dire, sans trier, n'est pas une vertu, c'est un trait d'immaturité et la fin des rapports civilisés.
Si le décodeur de pensée est imposé à tous pour raison d'Etat, les hommes s'entretueront avant d'exploser dans des attentats.