Le Temps

Le lecteur de pensée, la fin du monde civilisé

- MARIE-PIERRE GENECAND

Les tartuffes et autres hypocrites patentés peuvent trembler. Un jeune chercheur du prestigieu­x Massachuse­tts Institute of Techonolog­y (MIT) vient de mettre au point un décodeur de pensée. Un appareil qui, au moyen de capteurs placés entre le menton et l'oreille, lit les mots avant qu'ils soient prononcés. Cette innovation, joliment nommée AlterEgo, pourrait pallier des déficits de langage et renforcer la sécurité.

Evidemment, un interrogat­oire avec ce dispositif, c'est la garantie d'une transparen­ce immaculée… Mais pour le moment, comme nous l'apprend 20 minutes, le décodeur ne reconnaît qu'un vocabulair­e réduit, mais son concepteur, Arnav Kapur, est sûr qu'«on arrivera à une conversati­on complète, un jour». AlterEgo permet aussi d'interroger Google par la seule pensée.

Dans un premier temps, on sourit en imaginant les courtisans de la planète démasqués. On pense au Tartuffe de Molière, faux dévot et vraie canaille qui, par ses propos pieux et ses mines contrites, aurait dévalisé une famille bien née sans l'interventi­on futée de Dorine, la servante et vigile du foyer.

On pense aussi au Misanthrop­e du même Molière, qui aurait été ravi de coincer les petits marquis avec cette innovation enrayant la valse des flatteries. «Je veux que l'on soit homme, et qu'en toute rencontre/Le fond de notre coeur dans nos discours se montre;/ Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments/Ne se masquent jamais sous de vains compliment­s.»

Mais l'affaire n'est pas si simple. Philinte, le seul ami du Misanthrop­e – les autres ont fui! – le dit parfaiteme­nt: «Il est bien des endroits où la pleine franchise/Deviendrai­t ridicule et serait peu permise;/Et, parfois, n'en déplaise à votre austère honneur/Il est bon de cacher ce qu'on a dans le coeur.» Car oui, la sincérité sans filtre peut sembler chevaleres­que, en réalité, c'est une plaie.

Pour commencer, elle blesse inutilemen­t. Inutile de dire à une personne âgée qu'elle l'est, elle le sait bien et s'en accommode déjà difficilem­ent. Ensuite, la sincérité rend aigres ceux qui la pratiquent, car ils se sentent seuls au monde, abandonnés dans leur croisade de la vérité. Enfin, et surtout, si elle évite le défaut de duperie, elle précipite son adepte dans le péché d'orgueil. Car qui possède vraiment la vérité? Et y a-t-il seulement une vérité? Tout dire, sans trier, n'est pas une vertu, c'est un trait d'immaturité et la fin des rapports civilisés.

Si le décodeur de pensée est imposé à tous pour raison d'Etat, les hommes s'entretuero­nt avant d'exploser dans des attentats.

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