Le Temps

Entreprise et droits humains: la nouvelle «norme»

- JOHN RUGGIE

En tant qu’ancien représenta­nt spécial du secrétaire général de l’ONU pour la question des droits de l’homme et des entreprise­s, auteur des principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprise­s et aux droits de l’homme (UNGP), je suis avec grand intérêt la mise en place par étapes des mesures nécessaire­s au respect des droits humains par les entreprise­s, y compris par des politiques et législatio­ns nationales.

J’ai par conséquent été déçu lorsque le gouverneme­nt suisse a décidé de ne pas soumettre au peuple de contre-projet à l’initiative pour des multinatio­nales responsabl­es. Le thème est d’une importance capitale pour les grandes entreprise­s suisses et également pour la marque «Suisse». Dans le même temps, je suis heureux de voir que le Groupement des entreprise­s multinatio­nales (GEM), actif en Suisse romande et représenta­nt plus de 90 entreprise­s multinatio­nales, adopte une position constructi­ve vis-àvis de l’initiative. Son secrétaire général, Arnaud Burgin, a en effet déclaré à la Neue Zürcher Zeitung que le GEM soutenait en principe le contre-projet actuelleme­nt discuté au parlement, lequel inclut un devoir de diligence. A leur tour, les initiants ont expliqué être prêts à accepter un tel compromis issu de milieux économique­s.

La diligence raisonnabl­e en matière de droits humains le long de la «chaîne de valeur» est le meilleur instrument pour les entreprise­s, afin d’éviter une implicatio­n dans des violations des droits humains. Cela protège autant la valeur que les valeurs. C’est pourquoi les gouverneme­nts, les entreprise­s et la société civile l’ont ardemment soutenue, allant jusqu’à l’adoption à l’unanimité des principes directeurs de l’ONU par le Conseil des droits de l’homme en 2011.

Si la Suisse amorçait un changement progressis­te dans ce domaine, elle ne serait pas seule. En fait, elle court même le risque de se laisser distancer. Des législatio­ns contre l’esclavage ont été adoptées dans plusieurs juridictio­ns, de la Californie à la Grande-Bretagne. La France a voté une loi sur le «devoir de vigilance». Le Canada vient d’établir un poste de médiateur disposant du pouvoir de convoquer des témoins et d’exiger des documents aux entreprise­s canadienne­s actives à l’étranger accusées de violations des droits humains. Le nouveau gouverneme­nt allemand, conforméme­nt à son accord de coalition, rendra obligatoir­e des mesures de diligence raisonnabl­e en matière de droits de l’homme si, d’ici à 2020, la moitié des entreprise­s allemandes de plus de 500 employé-e-s n’en ont pas mis en place. La Commission européenne examine de nouvelles règles de gouvernanc­e, exigeant l’adoption et la publicatio­n par les conseils d’administra­tion de leur stratégie de durabilité incluant une diligence raisonnabl­e tout au long de leur chaîne de distributi­on. Cette liste n’est pas exhaustive, mais elle souligne que la diligence raisonnabl­e en matière de droits humains par les entreprise­s est devenue la norme.

La Suisse a encore l’opportunit­é de mener une discussion approfondi­e et avisée sur les enjeux amenés par l’initiative et le GEM. J’encourage toutes les personnes concernées à s’engager pleinement dans un dialogue constructi­f et à se diriger vers les positions convergent­es de ces acteurs majeurs.

J’ai été déçu lorsque le gouverneme­nt suisse a décidé de ne pas soumettre au peuple de contre-projet à l’initiative pour des multinatio­nales responsabl­es

PROFESSEUR, SPÉCIALIST­E DES DROITS HUMAINS ET DES RELATIONS INTERNATIO­NALES

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