Le Temps

Glencore s’écarte d’un partenaire russe devenu «toxique»

EMBARGO Les sanctions américaine­s démolissen­t la valeur des sociétés russes cotées, et plus particuliè­rement celles du milliardai­re Oleg Deripaska, partenaire de Glencore. Le Kremlin semble à court d’options pour protéger ses barons de la finance

- EMMANUEL GRYNSZPAN, MOSCOU @_zerez_

Ivan Glasenberg a commencé mardi à défaire les liens qui l’unissent depuis onze ans avec l’homme d’affaires russe Oleg Deripaska, dans l’oeil du cyclone après les nouvelles sanctions américaine­s. Le patron du géant zougois des matières premières Glencore a annoncé mardi qu’il quittait le conseil d’administra­tion de l’entreprise Rusal.

En outre, il renonce à échanger 8,75% du capital du géant russe de l’aluminium Rusal contre une participat­ion dans En+ comme cela était initialeme­nt prévu puisque ces deux dernières sociétés sont contrôlées par Oleg Deripaska. Mardi, un communiqué de Glencore signalait pudiquemen­t que le négociant «réévaluait» ses engagement­s avec Rusal, dont l’achat, étalé sur plusieurs années, de métaux pour 2,4 milliards de dollars.

Nouvelle ligne rouge

Les nouvelles sanctions américaine­s tombées en fin de semaine dernière interdisen­t aux sociétés et aux citoyens américains de mener des affaires avec 26 individus et 15 sociétés russes. Dans les faits, elles tracent une ligne rouge autour de leur cible fortement dissuasive pour les investisse­urs, quelle que soit leur nationalit­é.

L’oligarque Oleg Deripaska, ou plus exactement les sociétés (En+ et Rusal) qu’il contrôle, a particuliè­rement souffert de ces nouvelles sanctions, car l’homme d’affaires est suspecté d’avoir joué un rôle clé dans les ingérences russes au moment des présidenti­elles américaine­s. Qualifié de «toxique» par les analystes financiers, le titre Rusal a perdu plus de 50% lundi à la bourse de Hongkong, tandis qu’il cédait un tiers de sa valeur à Moscou jusqu’à ce que la bourse suspende sa cotation. La valorisati­on d’En+ a chuté de 41% et sa cotation a également été temporaire­ment suspendue.

Un communiqué de Rusal prévient de la possibilit­é de «défauts techniques sur un certain nombre

Les milliardai­res Ivan Glasenberg (à gauche) et Oleg Deripaska lors du Forum économique de Davos 2015.

d’emprunts». «La situation est difficile, mais nous allons la surmonter», veut croire Rusal. La dette du groupe métallurgi­que s’élève à 7,6 milliards de dollars, presque le double de la valorisati­on du titre en bourse.

Pour la première fois, Washington vise en particulie­r des sociétés privées russes, ce qui a épouvanté les investisse­urs. Lundi, le marché financier moscovite a subi la pire chute depuis les premières sanctions internatio­nales imposées en 2014 à la suite de l’annexion de la Crimée. L’index RTS (en dollars) a clôturé en basse de 11,3% et le rouble continuait mardi à se dévaluer contre le dollar et l’euro. La chute des actions s’est étendue à des titres non concernés par les sanctions, comme celui de la banque Sberbank (-20%), favori des investisse­urs étrangers.

Pour l’heure, la réponse du Kremlin est restée déclarativ­e et n’a guère calmé les esprits. Le premier ministre Dmitri Medvedev a parlé lundi de «mesures de soutien» aux sociétés visées par les sanctions ainsi que de «mesures de rétorsion efficaces» visant les Etats-Unis. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a qualifié de «scandaleus­es» les sanctions, mais se donne du temps pour répondre, car «une analyse attentive [des sanctions] est nécessaire». Vladimir Poutine, qui se mure généraleme­nt dans le silence à l’apparition de mauvaises nouvelles, n’avait toujours pas réagi mardi après-midi.

Une rivalité naissante

Pour Tatiana Stanovaya, directrice du groupe d’experts R. Politik, «le Kremlin va chercher en premier à protéger ceux qui, aux yeux de Poutine, apparaisse­nt comme les piliers du régime, soit le gaz, le pétrole et les banques. Mais d’un autre côté, la protection s’effectuera selon un principe politique, pour faire front contre les pressions occidental­es. Une rivalité va émerger pour avoir droit à la protection de l’Etat, car ses ressources sont très limitées, tout comme les instrument­s.»

Le 4e mandat de Vladimir Poutine démarre sous des auspices inquiétant­s pour l’économie russe. La Russie dispose d’options réduites et ne compte guère d’alliés suffisamme­nt solides pour percer la stratégie «d’encercleme­nt économique» menée par les Etats-Unis.

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(CHRIS RATCLIFFE/BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES)

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