Jean-Philippe Gaudin prend la tête du Service de renseignement
Jean-Philippe Gaudin, un militaire vaudois de 55 ans, va prendre la tête du Service de renseignement de la Confédération. Il bat sur le fil le commandant de la police neuchâteloise Pascal Lüthi
Le choix de la fidélité et de la loyauté. En désignant le brigadier Jean-Philippe Gaudin comme nouveau chef du Service de renseignement de la Confédération, Guy Parmelin a choisi un proche. Et même un ami avec lequel il entretient de longue date une relation «symbiotique», selon un connaisseur des deux hommes.
Agé de 55 ans, aujourd'hui attaché militaire suisse à Paris, le Vaudois bénéficie de la confiance totale du ministre de la Défense. Il est décrit comme un «vrai patriote», droit, loyal, courageux. Et comme un authentique chef, qui sait faire passer et concrétiser ses visions. Sous son aspect extérieur rond, c'est un grand sportif, excellent nageur, adepte du water-polo, ancien des troupes cyclistes, discipliné et dur avec lui-même.
A l'étranger, il est apprécié notamment des militaires français qui le considèrent comme un «vrai soldat», selon la source précitée.
Ancien directeur de l'office du tourisme de Montreux, puis militaire de carrière, ayant suivi des formations à l'OTAN et en Grande-Bretagne, commandant de troupes de soutien à l'OSCE en Bosnie, son principal fait d'arme est la modernisation du service de renseignement militaire suisse qu'il a dirigé entre 2008 et 2016.
Avant son arrivée, cette petite unité faisait peu de travail de renseignement, et compilait surtout les ordres de bataille des armées étrangères. Elle a évolué vers un service doté d'officiers de renseignement formés, de centres modernes d'analyse de l'imagerie satellitaire et d'écoute électronique.
Soutenu par les politiques
«Nous sommes montés en puissance dans le domaine de l'analyse [...], de l'informatique, dans le domaine cyber et de la contre-ingérence», c'est-à-dire la lutte contre le recrutement de soldats suisses par des espions ou des ennemis idéologiques comme les djihadistes, expliquait Jean-Philippe Gaudin en 2016 dans une interview à Sept.info.
Le militaire expliquait avoir été soutenu dans ses efforts par le parlement. «J'ai toujours eu des oreilles attentives, des hommes et femmes politiques», à gauche comme à droite, expliquait-il dans son interview.
Ce que les parlementaires de tous bords ont apprécié chez lui: le franc-parler. Jean-Philippe Gaudin n'a jamais eu peur de dire son fait à la hiérarchie militaire, notamment sur le besoin de réformer l'armée et de coopérer davantage avec les voisins européens.
Cette franchise l'a fait mal voir de l'ancien chef de l'armée, André Blattmann, qui a fini par l'écarter en le nommant à Paris. «Mais c'est justement cette capacité à dire ce qu'il croit être juste qui est demandée d'un chef des services de renseignement», estime une source bien informée à Berne.
Dans la course très disputée pour prendre la tête du SRC, Jean-Philippe Gaudin avait pourtant trois handicaps: il n'est pas universitaire, les langues ne sont «pas son fort», selon une personne qui le connaît (il a tout de même parlé allemand durant une bonne partie de sa conférence de presse, mercredi), et c'est un militaire qui va devoir se faire accepter du service civil qu'est le SRC.
«Je n'ai pas perçu d'étincelle de génie en lui et je ne suis pas sûr qu'il fera beaucoup bouger le SRC, commente une personne qui connaît bien le monde du renseignement suisse. Mais comme beaucoup d'officiers d'Etat-major, il a une vraie capacité à écouter et à donner l'impression de savoir plus de choses que son interlocuteur.»
La cybermenace
Dans son interview à Sept.info, Jean-Philippe Gaudin avait laissé transparaître sa vision du monde: carrée et réaliste. Il critiquait une Europe qui a globalement «baissé la garde» sur le plan militaire. Il montrait de la compréhension pour l'intervention russe en Syrie. Il plaidait pour une armée suisse «plus petite, mais robuste, prête rapidement à l'engagement». Il mettait l'accent sur l'importance, pour la Suisse, de la coopération au niveau européen, face aux menaces russe, islamiste ou migratoire.
La cybersécurité semblait l'inquiéter particulièrement. «Nous constatons que des pays testent quotidiennement nos capacités de défense dans ce domaine», expliquait-il. Mais la cyber-sécurité n'est pas «l'un des points dominants du profil de M. Gaudin», relevait la conseillère aux Etats Géraldine Savary (PS/ VD), membre de la commission de politique de sécurité du Conseil des Etats, à l'annonce de sa nomination mercredi.
Selon nos informations, Jean-Philippe Gaudin a battu sur le fil Pascal Luthi, l'actuel chef de la police neuchâteloise, âgé de 49 ans. Plus jeune que son rival, avec un profil plus technique et scientifique, ce brillant esprit, docteur en physique, a peut-être manqué d'un réseau très étoffé à Berne. Et surtout d'un lien personnel fort avec Guy Parmelin. Dans un domaine aussi sensible que le renseignement, cette proximité avec le décideur politique s'est révélée être un atout décisif.
«Je défendrai la Suisse sans uniforme»
Mercredi, devant les médias, Guy Parmelin a d'ailleurs invoqué la relation de «confiance» qu'il partage avec Jean-Philippe Gaudin comme l'une des principales raisons qui ont mené à sa sélection. Ainsi que l'amitié: «Trois candidats remplissaient toutes les conditions pour remplir ce poste, a déclaré le Conseiller fédéral. Toutefois d'autres aspects rentrent en ligne de compte au moment de se décider, notamment au niveau de l'affect.» Interrogé sur le rôle décisif qu'aurait pu jouer cette amitié dans l'attribution du poste, Guy Parmelin a ensuite nié que celle-ci ait «pesé de manière décisive».
«C'est un grand moment d'émotion», a quant à lui souligné Jean-Philippe Gaudin en affichant un visage de marbre. Martial, le nouveau chef du renseignement suisse a signalé d'entrée de jeu qu'il serait un homme de l'ombre: «On ne me verra pas souvent sur les plateaux de télévision, ni dans la presse.» Mais plus tard, il a insisté sur l'importance de «mieux communiquer avec la population» pour revaloriser son service aux yeux du grand public. En fin de conférence, le militaire de carrière a par ailleurs laissé poindre un certain émoi à l'idée de ranger son treillis: «Ca me fait un peu mal, mais c'est la règle du jeu et je la respecterai. Je suis d'abord un défenseur de la Suisse, a-t-il dit. Je le ferai sans uniforme». Il a ajouté «l'honneur et le privilège» qu'une telle fonction représentait pour «un patriote comme lui».
Concernant les menaces qui pèsent sur la Suisse, le brigadier a signalé en première ligne le terrorisme islamique. A celui-ci s'ajoutent «le retour des états-puissances, la militarisation, l'explosion des budgets militaires et, bien-sûr, tout ce qui est de la menace numérique».
Moment délicat pour le SRC
Jean-Philippe Gaudin prend la tête du SRC à un moment délicat. Le service est resté sans chef depuis bientôt six mois. En novembre dernier, son ancien directeur Markus Seiler a été muté au Département des Affaires étrangères.
Le service était depuis dirigé par son numéro deux, le Biennois Paul Zinniker. Mais celui-ci a été compromis par l'affaire de l'espion suisse arrêté en Allemagne – en fait un détective privé, embauché par le SRC pour infiltrer les services fiscaux allemands.
Le 13 mars, une délégation parlementaire critiquait les agissements du service dans ce dossier. Dans son rapport, elle souligne que le SRC a payé 60000 euros à l'enquêteur privé pour des informations de valeur douteuse. C'est ce genre de boulette que Jean-Philippe Gaudin aura aussi pour mission d'éviter.
Président de cette délégation, le conseiller aux Etats Claude Janiak (PS/BL) attend du nouveau venu «qu'il dirige le service de manière plus stricte, et avec plus d'influence sur les gens qui cherchent des informations».
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Jean-Philippe Gaudin n’a jamais eu peur de dire son fait à la hiérarchie militaire