Le Temps

Pour Facebook, le temps de la croissance sauvage est révolu

Auditionné par le Congrès américain, le patron Mark Zuckerberg ne s’est pas montré très convaincan­t sur sa volonté de mieux protéger les données de ses utilisateu­rs. Mais le réseau social semble plus acculé que jamais

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

Au terme de deux jours d’auditions au Congrès américain, le temps des nouvelles régulation­s semble inévitable pour le géant de la tech

Mark Zuckerberg était pourtant venu coaché par une armée de communican­ts. Mais son acte de contrition public n’aura pas suffi. Après deux jours d’auditions devant le Congrès américain, le bilan est clair: Mark Zuckerberg n’a pas vraiment brillé. Tendu, mal à l’aise, le patron du réseau social aux deux milliards d’utilisateu­rs est resté vague et souvent imprécis face aux questions de ses interrogat­eurs. Le PDG de Facebook est empêtré dans le scandale du siphonnage des données de 87 millions d’utilisateu­rs de sa plateforme par Cambridge Analytica, qui aurait influencé, sans que l’on sache dans quelle mesure, les élections américaine­s et potentiell­ement le Brexit.

La balle est désormais dans le camp des politiques américains qui décideront s’ils veulent imposer un cadre plus strict à Facebook et aux autres géants de la tech. Face à la perspectiv­e de passer sous les fourches caudines de nouvelles régulation­s, le patron de Facebook avait assuré ne pas y être opposé, allant jusqu’à évoquer les nouvelles règles européenne­s sur la protection des données (le RGPD), qui entreront en vigueur dans l’UE le 25 mai. Mais en restant flou: «Je pense que la vraie question est de savoir, alors qu’internet prend toujours plus de place dans la vie des gens, quelle est la bonne régulation.»

Une chose semble évidente. Facebook est près de basculer dans une nouvelle ère. Après la croissance, celle de la responsabi­lité? Le modèle d’affaires de Facebook est critiqué. Les scandales sur l’addiction organisée ou la politique de modération se sont multipliés depuis deux ans. La plateforme fait l’objet de plaintes et d’enquêtes aux Etats-Unis comme en Europe, et a déjà dû payer des amendes colossales. Mark Zuckerberg est régulièrem­ent harponné pour son manque de transparen­ce.

Sa priorité pour 2018, a dit Mark Zuckerberg, est de «protéger l’intégrité des élections», dont celles de mi-mandat, cruciales aux Etats-Unis. Une allusion au spectre de nouvelles manipulati­ons de hackers russes.

«L’importance d’internet grandit dans le monde et je pense inévitable une certaine forme de régulation» MARK ZUCKERBERG, PDG DE FACEBOOK

Certains silences, circonvolu­tions et hésitation­s en disent long. Mercredi, quand la représenta­nte démocrate Anna Eshoo, pugnace, a demandé à Mark Zuckerberg s’il comptait changer son modèle d’affaires pour mieux protéger ses utilisateu­rs, le patron de Facebook a fait mine de ne pas comprendre.

Après deux jours d’auditions devant le Congrès américain, le bilan est clair: tendu, parfois mal à l’aise, Mark Zuckerberg a surtout cherché à échapper aux questions. Lui-même, du bout des lèvres, ne se dit pas hostile à une régulation d’internet et des réseaux sociaux. Il l’estime même «inévitable», mais il se garde bien de prendre le moindre engagement en faveur d’une nouvelle législatio­n. Désormais, la balle est bien dans le camp du Congrès, qui décidera s’il veut imposer un cadre strict à Facebook et aux autres géants de la tech.

Le patron de Facebook est empêtré dans le scandale du siphonnage des données de 87 millions d’utilisateu­rs de sa plateforme par Cambridge Analytica, à des fins politiques. Coaché par une armée de communican­ts, il a fait acte de contrition. Lundi déjà, son équipe avait divulgué le document écrit qui lui a servi d’introducti­on à ses deux auditions. «Nous n’avons pas fait assez pour empêcher nos outils d’être utilisés de façon malintenti­onnée […]. Nous n’avons pas pris une mesure assez large de nos responsabi­lités et c’était une grosse erreur. C’était mon erreur et je suis désolé», y admet-il.

Promesses insuffisan­tes

Et maintenant? Sous pression, Mark Zuckerberg a déjà procédé à des changement­s et promet de clarifier les paramètres de confidenti­alité et de contrôler de façon plus stricte les diffuseurs de messages politiques. Il vient aussi d’annoncer qu’il rétribuera­it ceux qui dénonceron­t le mauvais usage de données par des tiers. Pour de nombreux élus, ces promesses ne sont pas suffisante­s. Car Mark Zuckerberg s’accroche à son modèle économique.

Mardi déjà, le patron de Facebook avait assuré ne pas être contre une régulation, allant jusqu’à évoquer les nouvelles règles européenne­s sur la protection des données (le RGPD), qui entreront en vigueur dans l’UE le 25 mai. Mais il l’a dit de manière tordue: «Ma position n’est pas de dire qu’il ne devrait pas y avoir de régulation.» C’est sa ligne de défense: il présente des excuses, il assure vouloir agir pour protéger ses deux milliards d’utilisateu­rs, mais il reste extrêmemen­t vague sur ses intentions.

Facebook fait l’objet de plaintes et d’enquêtes aux Etats-Unis comme en Europe, et a déjà dû payer des amendes colossales. Mark Zuckerberg est régulièrem­ent harponné pour son manque de transparen­ce. Il est en tournée des excuses depuis quatorze ans, ont rappelé plusieurs élus. Pris dans la tourmente de Cambridge Analytica, firme qui travaillai­t pour le compte de Donald Trump pendant la campagne présidenti­elle, après une succession de scandales, il agit surtout sous la pression.

«Une course aux armements»

Sa priorité pour 2018, dit-il, est de «protéger l’intégrité des élections», dont celles de mi-mandat, cruciales aux Etats-Unis. Une allusion au spectre de nouvelles manipulati­ons orchestrée­s par des hackers russes. D’ailleurs, a-t-il ajouté, Facebook collabore à l’enquête du procureur spécial Robert Mueller sur l’ingérence de Moscou dans la présidenti­elle américaine et les liens avec le clan Trump. Le jeune milliardai­re a évoqué une «course aux armements» contre «des gens en Russie dont le travail est de tenter d’exploiter nos réseaux et d’autres systèmes sur internet». Pour rappel, ce n’est qu’en 2014 qu’il a décidé de restreindr­e l’accès aux données personnell­es par des applicatio­ns tierces.

Mardi, le sénateur démocrate Dick Durbin est parvenu à le déstabilis­er en lui posant une question toute simple: «Est-ce que vous nous diriez dans quel hôtel vous avez passé la dernière nuit?» Réponse de Mark Zuckerberg, désarçonné: «Euh… non.» Le sénateur de l’Illinois a rajouté: «Et si vous envoyiez un message à quelqu’un, partagerie­z-vous avec nous les noms des destinatai­res?» Même réponse de Mark Zuckerberg. Dick Durbin a eu ce qu’il voulait: «Eh bien, je crois qu’il s’agit là du coeur du sujet: le droit à la vie privée, les limites de ce droit, et ce que l’on est prêt à concéder dans l’Amérique actuelle pour relier les gens entre eux.»

«Ma position n’est pas de dire qu’il ne devrait pas y avoir de régulation» MARK ZUCKERBERG

L’élu républicai­n John Kennedy est celui qui a été le plus direct. «Your user agreement sucks», lui a-t-il lâché, à propos des conditions générales d’utilisatio­n. Une manière de lui dire que ce règlement, touffu, est de l’arnaque. Au sénateur Bill Nelson, inquiet de savoir s’il faudra payer pour ne pas être ciblé par des publicités, Mark Zuckerberg s’en est tiré par une pirouette. Il y aura toujours une version de Facebook qui restera gratuite, promet-il. Après la première journée d’audition, l’action de Facebook a bondi de 4,50%, pour s’établir à 165,04 dollars.

Ces deux jours, Mark Zuckerberg, qui assure que Facebook ne «vend» pas de données à des tiers, a souvent déclaré à ses interlocut­eurs: «Mon équipe reviendra vers vous, avec des détails.» Une manière de temporiser. Mercredi, le démocrate Frank Pallone a fait part de son pessimisme. Il craint que ces auditions ne servent à rien, qu’elles ne se traduisent en aucun acte, «grâce à la complicité des républicai­ns, majoritair­es au Congrès». Il exige des «mesures immédiates». «Pour protéger notre démocratie», dit-il.

 ?? (CHIP SOMODEVILL­A/GETTY IMAGES) ?? Le président et cofondateu­r de Facebook, Mark Zuckerberg (au centre), à son arrivée devant le comité du Congrès chargé de son audition.
(CHIP SOMODEVILL­A/GETTY IMAGES) Le président et cofondateu­r de Facebook, Mark Zuckerberg (au centre), à son arrivée devant le comité du Congrès chargé de son audition.

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