Macron parle-t-il encore aux Français?
Le président français s'exprime ce jeudi en direct sur TF1. Alors que les grévistes de la SNCF tiennent bon, que les universités bouillonnent et que l'évacuation policière de Notre-Dame-des-Landes patine, la communication d'Emmanuel Macron interroge
La SNCF fait grève, les universités sont en ébullition, la ZAD de Notre-Dame-des-Landes n’en finit pas d’être évacuée dans les heurts. Emmanuel Macron a-t-il perdu la main?
Attaqué ces jours-ci sur son rapport à la laïcité après son discours prononcé lundi soir devant les évêques de France, Emmanuel Macron n'a guère intérêt à rappeler le nom de l'agence qui lui concocta en 2016 le slogan «En marche!». Son nom? Jésus et Gabriel. Ses clients habituels? Les grandes marques alimentaires, mais aussi le whisky Clan Campbell, France Culture ou l'Eurostar, le TGV Paris-Londres.
Un choix osé, preuve de l'audace du président français en matière de communication: «Choisir un nom synonyme de mouvement, avec ses initiales EM, pour bien montrer sa volonté d'avancer plus vite et autrement: on ne pouvait pas faire mieux. On les a tous cloués sur place», rigole le député macronien du Rhône Bruno Bonnell. Un souvenir lâché en marge d'une exposition symbole, consacrée ces jours-ci à l'Assemblée nationale… à la révolte étudiante et ouvrière de mai 1968.
Deux ans plus tard, et presque douze mois après l'élection du 7 mai 2017, l'arme fatale de la com que maniait jusque-là avec brio Emmanuel Macron s'est-elle enrayée? C'est à cette question que l'intéressé compte répondre dès ce jeudi 13h. Premier rendez-vous: le très populaire et très rural journal télévisé de Jean-Pierre Pernaut sur TF1, en direct d'une école primaire de Normandie. Du sur-mesure pour un chef de l'Etat, alias Jupiter, accusé d'être trop éloigné des préoccupations de ses concitoyens et bousculé par les cheminots en grève, opposés à la réforme de la SNCF. Second rendez-vous: un entretien présumé musclé dimanche soir, en direct du Palais de Chaillot, mené par le fondateur de Mediapart Edwy Plenel et l'intervieweur de BFM TV JeanJacques Bourdin. Ces deux «démolisseurs» ont refusé le décor de l'Elysée. Après le président pédagogue et attentionné, place au président combattant.
La complication, pour Emmanuel Macron, vient du fait que son style est peut-être en train de se transformer en piège. Persuadé – il l'a souvent répété – que l'indispensable «transformation» de son pays doit être enclenchée vite, durant les deux premières années de son quinquennat, le chef de l'Etat a fait deux choix: celui d'une présidence décisionnaire, mais en retrait, très contrôlée, et celui d'un gouvernement efficace d'experts déterminés conduit par un transfuge de la droite, Edouard Philippe. Le tout, animé par cette conviction «qu'il manque un roi à la France», comme il l'avait asséné à l'hebdo Le 1 en septembre 2016. Problème: toutes les réformes engagées ne sont pas de même nature. «La grande différence, avec la SNCF, c'est qu'elle met en scène des hommes et des femmes que les Français côtoient, juge un conseiller proche du ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer. La réforme du Code du travail adoptée l'an dernier n'est qu'une affaire de critères et de seuils. Les cheminots, ce sont des visages, des familles, une histoire, une gestion calamiteuse du rail par l'Etat. Bref, de l'humain et du Gaulois…»
La communication macronienne a aussi perdu ses alliés. «Macron a profité durant la campagne d'un effet de sidération, explique Eric Fottorino, directeur de l'hebdo Le 1. Les médias l'ont vu débouler et l'ont adopté. Il était le bon client par excellence.» Or le président, soucieux de la rareté de sa parole, frustre depuis son arrivée à l'Elysée tous les éditorialistes qui rêvaient de devenir ses confidents. Son entourage est avare en infos. Le off a disparu. Les coulisses du pouvoir ne bruissent plus. Plus pernicieux encore: ce très médiatique président s'est mis en tête de légiférer sur l'information, avec son projet de loi sur les fake news. La défiance s'est peu à peu installée. Le fossé s'est creusé. Le «monarque républicain» s'est mis à alimenter la défiance, plus que la confiance: «La loi sur les fake news est révélatrice, juge Arnaud Benedetti, historien de la communication. Le message présidentiel aux médias est: vous n'êtes pas crédibles. Je vais vous protéger contre vos dérives. Mais est-ce bien son rôle?»
Un autre écueil est, enfin, devenu problématique. Prompt à répondre vigoureusement à ses détracteurs, comme il l'a fait en février au Salon de l'agriculture, Emmanuel Macron devient vite cassant, autoritaire, inflexible. A l'hôpital de Rouen, début avril, son interpellation par deux infirmières ulcérées par leurs conditions de travail a fait le buzz. Ce fossé peut-il être comblé par une communication spectacle ce jeudi, en direct du département rural de l'Orne? On se souvient qu'en décembre, son entretien sur France 2 sans aucune question qui fâche avait tourné au désavantage de l'Elysée. Pour le présentateur JeanPierre Pernaut, originaire d'Amiens comme le président, la donne a en tout cas radicalement changé: «Je ne suis ni macronien, ni anti-macronien. Ce n'est pas mon boulot. Emmanuel Macron est un type jeune qui a l'air de plaire. Pour l'instant, les Français n'en disent pas de mal», affirmait-il en février au Point. Un instant désormais révolu.
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«Les cheminots, ce sont des visages, des familles, une histoire, une gestion calamiteuse du rail par l’Etat. Bref, de l’humain et du Gaulois…»
UN CONSEILLER MINISTÉRIEL