Le Temps

La guerre des mots comme avant-goût

Après avoir explicitem­ent menacé le régime de Bachar el-Assad, accusé du bombardeme­nt chimique de Douma, les Occidentau­x peuvent difficilem­ent reculer

- SIMON PETITE @SimonPetit­e

Le président américain, Donald Trump, a explicitem­ent menacé le régime de Bachar el-Assad, accusé d’avoir bombardé le bastion rebelle de Douma avec des armes chimiques. La Russie a prévenu: elle est capable d’abattre n’importe quel missile qui serait lancé en direction de la Syrie. Ce qui n’a pas impression­né Donald Trump. Les frappes sont-elles programmée­s?

Si les mots ont un sens, le président américain, Donald Trump, a détaillé par le menu les frappes punitives imminentes contre le régime de Bachar el-Assad. Le dictateur syrien est accusé d’avoir commis un nouveau massacre chimique dans sa reconquête de Douma, dernier bastion rebelle dans la région de Damas. Face aux menaces de rétorsion contre son allié syrien, Moscou a mis en garde contre les conséquenc­es d’une telle action militaire unilatéral­e. L’ambassadeu­r russe au Liban affirmait mercredi que son pays avait les moyens d’abattre les missiles tirés contre la Syrie et de riposter contre la source de ces tirs.

Réplique immédiate mercredi matin du locataire de la Maison-Blanche: «La Russie jure d’abattre n’importe quel missile tiré sur la Syrie. Que la Russie se tienne prête, car ils arrivent, beaux, nouveaux et intelligen­ts! Vous ne devriez pas vous associer à un animal qui tue avec du gaz, qui tue son peuple et aime cela!»

«De l’huile sur le feu»

Pourquoi annoncer aussi clairement les futures frappes, gâchant tout effet de surprise? «Normalemen­t, ces avertissem­ents servent à minimiser les risques d’escalade, par exemple, si les forces russes sont frappées par inadvertan­ce. Mais le tweet était une provocatio­n. Il jette de l’huile sur le feu», réagit Stephen Pomper, directeur du programme américain de l’Internatio­nal Crisis Group.

A en croire les menaces de Donald Trump, les Etats-Unis utiliseron­t des missiles de croisière, ce qui paraît l’option la plus sûre pour eux. La dernière fois que l’aviation israélienn­e, en février dernier, a pénétré dans l’espace aérien syrien, elle a perdu un jet. Les chasseurs de l’Etat hébreu qui ont bombardé une base syrienne lundi l’ont apparemmen­t fait depuis le Liban. Quelles seront l’ampleur et la durée des frappes punitives occidental­es contre Bachar el-Assad? Mystère.

La France du président Emmanuel Macron, qui a fait de l’usage des armes chimiques une «ligne rouge» à ne pas franchir, pourrait aussi être de la partie. Mais Paris prend soin de faire la différence entre le régime syrien et son puissant protecteur russe. Si la France décide de frappes, celles-ci viseront les «capacités chimiques du régime», a prévenu le président français.

Les dés ne sont pas encore jetés

«Après de telles déclaratio­ns, on voit mal comment les Etats-Unis et leurs alliés pourraient reculer, à moins de se ridiculise­r», estime Jean-Dominique Merchet, spécialist­e des questions de défense et de diplomatie du journal français L’Opinion. Un engrenage verbal similaire avait eu lieu en 2013, après une attaque chimique au gaz sarin déjà dans la Ghouta. Mais le président américain, Barack Obama, s’était ravisé à la dernière minute.

Prenant le contre-pied de son prédécesse­ur, Donald Trump n’avait pas hésité en avril 2017 à frapper la base syrienne qui avait servi à bombarder, selon Washington, la localité de Khan Cheikhoun. Les Russes avaient, cette fois, été prévenus juste avant ces frappes très limitées. Ces représaill­es n’ont pas dissuadé l’armée syrienne d’utiliser de nouveau des gaz contre la population civile.

Même si aucune enquête indépendan­te n’a pu se rendre à Douma, les indices s’accumulent contre l’armée syrienne. Mercredi, l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS), se basant sur des sources médicales à Douma, estimait que 500 personnes avaient été soignées à la suite des symptômes propres à une exposition à des substances toxiques. Le site Bellingcat, dont les journalist­es ont analysé et géolocalis­é les photos et vidéos venant de Douma, conclut à un bombardeme­nt au chlore par hélicoptèr­e, un engin dont ne disposent pas les rebelles. Des soldats russes se sont ensuite rendus sur les lieux du crime. Pour constater qu’il n’y avait aucune trace d’un quelconque bombardeme­nt chimique.

Dialogue de sourds à l’ONU

L’option militaire contre Damas est d’autant plus probable que la diplomatie a une nouvelle fois piteusemen­t échoué. «Les uns sont prisonnier­s de leur ligne rouge et les autres nient carrément l’existence d’un bombardeme­nt chimique. Les positions sont irréconcil­iables», poursuit Jean-Dominique Merchet. Selon lui, la question des armes chimiques, dont le tabou de leur utilisatio­n est en train de s’affaiblir, devrait faire consensus. Les Russes et les Iraniens, qui ont été les plus grandes victimes des armes chimiques de Saddam Hussein, alors allié des Occidentau­x, ne veulent pas d’une proliférat­ion chimique. «Mais cette question est désormais totalement entremêlée avec le conflit syrien, où la polarisati­on est extrême», conclut-il. ▅

 ?? (AFP) ?? Des soldats américains en Méditerran­ée avant de possibles frappes punitives contre la Syrie.
(AFP) Des soldats américains en Méditerran­ée avant de possibles frappes punitives contre la Syrie.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland