La guerre des mots comme avant-goût
Après avoir explicitement menacé le régime de Bachar el-Assad, accusé du bombardement chimique de Douma, les Occidentaux peuvent difficilement reculer
Le président américain, Donald Trump, a explicitement menacé le régime de Bachar el-Assad, accusé d’avoir bombardé le bastion rebelle de Douma avec des armes chimiques. La Russie a prévenu: elle est capable d’abattre n’importe quel missile qui serait lancé en direction de la Syrie. Ce qui n’a pas impressionné Donald Trump. Les frappes sont-elles programmées?
Si les mots ont un sens, le président américain, Donald Trump, a détaillé par le menu les frappes punitives imminentes contre le régime de Bachar el-Assad. Le dictateur syrien est accusé d’avoir commis un nouveau massacre chimique dans sa reconquête de Douma, dernier bastion rebelle dans la région de Damas. Face aux menaces de rétorsion contre son allié syrien, Moscou a mis en garde contre les conséquences d’une telle action militaire unilatérale. L’ambassadeur russe au Liban affirmait mercredi que son pays avait les moyens d’abattre les missiles tirés contre la Syrie et de riposter contre la source de ces tirs.
Réplique immédiate mercredi matin du locataire de la Maison-Blanche: «La Russie jure d’abattre n’importe quel missile tiré sur la Syrie. Que la Russie se tienne prête, car ils arrivent, beaux, nouveaux et intelligents! Vous ne devriez pas vous associer à un animal qui tue avec du gaz, qui tue son peuple et aime cela!»
«De l’huile sur le feu»
Pourquoi annoncer aussi clairement les futures frappes, gâchant tout effet de surprise? «Normalement, ces avertissements servent à minimiser les risques d’escalade, par exemple, si les forces russes sont frappées par inadvertance. Mais le tweet était une provocation. Il jette de l’huile sur le feu», réagit Stephen Pomper, directeur du programme américain de l’International Crisis Group.
A en croire les menaces de Donald Trump, les Etats-Unis utiliseront des missiles de croisière, ce qui paraît l’option la plus sûre pour eux. La dernière fois que l’aviation israélienne, en février dernier, a pénétré dans l’espace aérien syrien, elle a perdu un jet. Les chasseurs de l’Etat hébreu qui ont bombardé une base syrienne lundi l’ont apparemment fait depuis le Liban. Quelles seront l’ampleur et la durée des frappes punitives occidentales contre Bachar el-Assad? Mystère.
La France du président Emmanuel Macron, qui a fait de l’usage des armes chimiques une «ligne rouge» à ne pas franchir, pourrait aussi être de la partie. Mais Paris prend soin de faire la différence entre le régime syrien et son puissant protecteur russe. Si la France décide de frappes, celles-ci viseront les «capacités chimiques du régime», a prévenu le président français.
Les dés ne sont pas encore jetés
«Après de telles déclarations, on voit mal comment les Etats-Unis et leurs alliés pourraient reculer, à moins de se ridiculiser», estime Jean-Dominique Merchet, spécialiste des questions de défense et de diplomatie du journal français L’Opinion. Un engrenage verbal similaire avait eu lieu en 2013, après une attaque chimique au gaz sarin déjà dans la Ghouta. Mais le président américain, Barack Obama, s’était ravisé à la dernière minute.
Prenant le contre-pied de son prédécesseur, Donald Trump n’avait pas hésité en avril 2017 à frapper la base syrienne qui avait servi à bombarder, selon Washington, la localité de Khan Cheikhoun. Les Russes avaient, cette fois, été prévenus juste avant ces frappes très limitées. Ces représailles n’ont pas dissuadé l’armée syrienne d’utiliser de nouveau des gaz contre la population civile.
Même si aucune enquête indépendante n’a pu se rendre à Douma, les indices s’accumulent contre l’armée syrienne. Mercredi, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), se basant sur des sources médicales à Douma, estimait que 500 personnes avaient été soignées à la suite des symptômes propres à une exposition à des substances toxiques. Le site Bellingcat, dont les journalistes ont analysé et géolocalisé les photos et vidéos venant de Douma, conclut à un bombardement au chlore par hélicoptère, un engin dont ne disposent pas les rebelles. Des soldats russes se sont ensuite rendus sur les lieux du crime. Pour constater qu’il n’y avait aucune trace d’un quelconque bombardement chimique.
Dialogue de sourds à l’ONU
L’option militaire contre Damas est d’autant plus probable que la diplomatie a une nouvelle fois piteusement échoué. «Les uns sont prisonniers de leur ligne rouge et les autres nient carrément l’existence d’un bombardement chimique. Les positions sont irréconciliables», poursuit Jean-Dominique Merchet. Selon lui, la question des armes chimiques, dont le tabou de leur utilisation est en train de s’affaiblir, devrait faire consensus. Les Russes et les Iraniens, qui ont été les plus grandes victimes des armes chimiques de Saddam Hussein, alors allié des Occidentaux, ne veulent pas d’une prolifération chimique. «Mais cette question est désormais totalement entremêlée avec le conflit syrien, où la polarisation est extrême», conclut-il. ▅