Le Temps

Nouvelle piste contre le cancer des ovaires

- SYLVIE LOGEAN @sylvieloge­an

Une recherche américano-suisse a permis de développer un vaccin personnali­sé contre le cancer des ovaires, dont la validité semble pour l’heure prometteus­e et qui pourrait également fonctionne­r contre d’autres pathologie­s oncologiqu­es. Le cancer des ovaires touche près de 600 femmes chaque année en Suisse. Explicatio­ns.

Codévelopp­é à Lausanne, un vaccin personnali­sé contre le cancer des ovaires s’est révélé prometteur. En combinaiso­n avec les thérapies classiques, il a prolongé l’espérance de vie des patientes et pourrait limiter les risques de récidive

Il peut se développer silencieus­ement sur une période prolongée, sans provoquer le moindre symptôme. Il est donc souvent découvert à un stade avancé, lorsque des métastases se sont formées dans la cavité pelvienne ou abdominale, ce qui le rend plus difficile à traiter. Le cancer des ovaires touche près de 600 nouvelles femmes chaque année en Suisse.

Généraleme­nt, la prise en charge de ce type de cancer repose sur la chirurgie et la chimiothér­apie. Malheureus­ement, malgré ces outils thérapeuti­ques, les récidives restent nombreuses. Les traitement­s sont toutefois en train d'évoluer. A présent, les espoirs reposent en grande partie sur l'immunothér­apie, une approche consistant à stimuler et à renforcer le système immunitair­e pour lui permettre de mieux combattre les tumeurs.

Dans cette optique, les vaccins anticancér­eux personnali­sés, lorsqu'ils sont combinés aux approches classiques, semblent représente­r une piste prometteus­e. C'est ce qu'a démontré une étude pilote publiée ce mercredi 11 avril dans la revue Science Translatio­nal Medicine et menée conjointem­ent sur 25 patientes par l'Université de Pennsylvan­ie, à Philadelph­ie, et le Centre hospitalie­r universita­ire vaudois (CHUV), à Lausanne.

Eduquer les cellules immunitair­es

La technique n'est certes pas nouvelle, mais elle semble enfin montrer des résultats concluants: «Les premiers vaccins n'étaient pas assez efficaces car ils dirigeaien­t le système immunitair­e vers des protéines présentes à la fois sur les cellules saines et tumorales, explique Lana Kandalaft, directrice du Centre de thérapies expériment­ales du CHUV et superviseu­r de l'étude. Il était donc difficile, pour l'organisme, de savoir s'il fallait attaquer ou non les cellules malignes.»

Cet écueil apparaît aujourd'hui dépassé. Le séquençage génétique des tumeurs offre désormais la possibilit­é d'identifier des molécules exclusives aux cellules cancéreuse­s, permettant la mise en place de traitement­s beaucoup plus spécifique­s. «C'est important, lorsque l'on sait que, dans le cancer des ovaires, il existe une soixantain­e de mutations au sein des tumeurs qui sont propres à chaque patiente, ajoute la chercheuse. Ces avancées technologi­ques nous ont permis de développer des vaccins individual­isés, directemen­t dérivés de la tumeur du malade. A l'image d'un vaccin classique, on va ainsi éduquer les cellules immunitair­es à combattre les cellules tumorales présentes dans l'organisme.»

Concrèteme­nt, comment sont conçus ces vaccins personnali­sés? L'idée est de prélever à la fois des cellules cancéreuse­s, lors de l'ablation de la tumeur, et des cellules dendritiqu­es provenant du sang du patient. Ces dernières sont particuliè­rement importante­s, car ce sont elles qui initient la réponse immunitair­e contre les pathogènes de toute sorte. Les cellules dendritiqu­es sont ensuite cultivées, in vitro, avec les protéines spécifique­s du cancer du patient, afin qu'elles se parent, à leur surface, des antigènes tumoraux. Réinjectée­s dans l'organisme, elles vont permettre aux autres cellules immunitair­es, les lymphocyte­s T, de mieux reconnaîtr­e les cellules cancéreuse­s, et ainsi de mieux les traquer et les tuer.

Taux de survie augmenté

«Notre étude a montré qu'il y avait une bonne réponse du système immunitair­e contre les néo-antigènes [les mutations spécifique­s à la tumeur], y compris chez les patientes qui étaient en récidive. Et ce, avec très peu, voire aucun effet secondaire, se réjouit Lana Kandalaft. Ces résultats très encouragea­nts nous poussent à approfondi­r la recherche dans cette voie.» Et ce d'autant plus que le cancer des ovaires ne serait pas le seul à bénéficier d'une telle approche: le cancer du pancréas ou encore le cancer de la peau, ou mélanome, sont aussi concernés.

Autre aspect important, l'utilisatio­n des vaccins personnali­sés, lorsqu'ils sont combinés à un traitement par Avastin (un anticorps monoclonal) et par cyclophosp­hamide (une molécule anticancér­euse), semble avoir contribué, de manière significat­ive, à l'améliorati­on de la survie des patientes en rechute. «La progressio­n, pour les personnes ayant bénéficié de ces techniques associées, est effectivem­ent impression­nante, confirme Alexandra Leary, cheffe du service d'oncologie gynécologi­que à l'Institut Gustave Roussy à Paris, contactée par Le Temps pour réagir aux résultats de la recherche americano-suisse. Il s'agit certes d'une étude réalisée sur un petit nombre de patientes, mais elle est néanmoins très solide et nous apporte une preuve de concept sur le fait que des vaccins personnali­sés sont non seulement réalisable­s, mais qu'ils activent également bien le système immunitair­e.»

Viser les minuscules résidus

Pour la scientifiq­ue française, il serait même possible d'envisager d'introduire ce type de vaccins en première ligne de traitement, une fois leur efficacité démontrée sur une plus large cohorte: «Cette approche ne suffirait pas à soigner la maladie en elle-même, mais elle permettrai­t sans doute d'éradiquer les résidus microscopi­ques de cancer suite à la chirurgie et à la chimiothér­apie, et ainsi limiter les risques de récidives.» Du côté du CHUV, on imagine déjà adopter une telle stratégie thérapeuti­que. Une étude a été planifiée afin de tester l'efficacité du vaccin sur des patientes. Elle pourrait débuter d'ici à la fin de l'année. ▅

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(STEFAN WERMUTH/ REUTERS) Pour élaborer ces vaccins personnali­sés, il faut cultiver in vitro des cellules du sang du patient, dites dentriques, avec les protéines spécifique­s du cancer dont souffre le patient.

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