Le Temps

Le plan de Damas contre les journalist­es occidentau­x

- ANTOINE HARARI

Le régime syrien est visé par une plainte aux Etats-Unis de la famille de la reporter de guerre Marie Colvin, tuée en février 2012. Le Français Gilles Jacquier avait été tué peu auparavant, le journalist­e suisse Patrick Vallélian, qui était avec lui, raconte

Homs, le 22 février 2012. La guerre civile syrienne fait rage dans la «capitale de la révolution» et le clan du président Bachar el-Assad est prêt à tout pour écraser la rébellion. Aux alentours de 09h30, le centre de média clandestin du quartier de Baba Amr est pilonné par l’armée syrienne. L’attaque durera près de vingt minutes. Aux côtés de plusieurs activistes syriens, deux journalist­es occidentau­x y perdront la vie, la correspond­ante de guerre Marie Colvin et le photograph­e Rémi Ochlik.

A la suite de l’attaque de Baba Amr, de nombreux médias décident de ne plus dépêcher d’envoyés spéciaux sur place, refusant d’envoyer leurs journalist­es à l’abattoir. La Syrie devient un trou noir médiatique et les batailles suivantes se déroulent à huis clos.

Convaincue que cette attaque ne devait rien au hasard, la soeur de Marie Colvin a porté plainte en juillet 2016 aux EtatsUnis contre le régime syrien. Le dossier se base notamment sur le témoignage d’un ancien gradé du renseignem­ent syrien surnommé «Ulysse», aujourd’hui réfugié en Europe sous une autre identité.

«Le régime voulait sa peau»

Les deux journalist­es n’étaient pas les premiers visés par le régime syrien. C’est dans ces circonstan­ces que Gilles Jacquier, reporter de France 2, a été tué. Présent à ses côtés, le journalist­e suisse Patrick Vallélian a encore les faits bien en mémoire: «C’était une mise en scène de A à Z. Le régime syrien voulait sa peau.»

Toujours très concerné par cette histoire, le directeur du site Sept.info en a tiré un livre, coécrit avec un collègue de La Liberté et la compagne de Gilles Jacquier, Caroline Poivron: Attentat express (Editions du Seuil). Dans ce livre, il raconte, entre autres, comment le régime les a piégés en les amenant à Homs. Officielle­ment, Gilles Jacquier serait mort d’un tir de mortier. Une version que conteste Patrick Vallélian. «Comme nous le démontrons dans Attentat express, Gilles a été probableme­nt blessé par l’explosion d’une grenade puis achevé par un sbire du régime.»

«Ne venez pas en Syrie»

Une chose est sûre, au moment de l’emmener dans un taxi pour l’hôpital, Gilles Jacquier est déjà décédé. Selon Patrick Vallélian, le régime souhaitait très probableme­nt envoyer un message aux rédactions du monde entier: «Ne venez pas en Syrie. Nous ne pouvons pas assurer votre sécurité.» Damas pensait aussi que Gilles Jacquier possédait une liste de dignitaire­s du régime qui voulaient quitter le pays et qu’il jouait le messager pour Paris. Ou pire qu’il était un espion français. Une paranoïa qui sera répétée à l’encontre de Marie Colvin. Pour Patrick Vallélian, le responsabl­e des attaques ne peut être que Maher el-Assad. Une déclaratio­n que confirme Ulysse, le transfuge syrien. La conclusion du journalist­e suisse: «Notre erreur, c’est de ne pas avoir pris assez au sérieux les menaces qui nous ont été rapportées à Damas même. Nous pensions naïvement que le régime de Damas n’oserait pas tuer des journalist­es occidentau­x.»

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