«Genève est au coeur d’une mue technologique de la médecine»
A l’occasion de la 7e édition du Geneva Health Forum, Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’Université de Genève, explique l’impact croissant de la technologie sur la pratique médicale
Plus de 1000 participants, des start-up férues d’innovation dans le domaine de la santé. La 7e édition du Geneva Health Forum (GHF) qui se tient à Genève jusqu’à jeudi met l’accent sur la transformation numérique du secteur de la santé. Coprésident du comité scientifique du GHF, Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de la Faculté de médecine de l’Université de Genève, donne la mesure du changement en cours.
Le secteur de la santé est en pleine mutation. En quoi profite-t-il de la radicalité numérique du moment? Nous faisons face à une profonde transformation des pratiques de santé globale. Dans cette édition du GHF, nous jugeons nécessaire d’en rendre compte. Prenez la télémédecine. Elle permet d’accomplir des choses qu’on ne pouvait imaginer auparavant. L’Afrique en bénéficie au premier chef. Une initiative qui a émergé à Genève sous l’impulsion du professeur Antoine Geissbuhler est tout à fait pionnière. C’est le projet Réseau en Afrique francophone pour la télémédecine (RAFT) qui permet de mettre en lien les hôpitaux de l’Afrique francophone via des conférences hebdomadaires très suivies et de faire en sorte qu’ils partagent leurs expériences via la télémédecine. Une discipline très prometteuse qui permet de combler les manques dans les «déserts» médicaux et les régions reculées où l’on a de moins en moins de médecins.
«La Health Valley a généré la création d’une multitude de start-up grâce au soutien de la Confédération et des cantons»
Dans quelle mesure la Genève internationale contribue-t-elle à la transformation numérique de la santé globale? Nous disposons de ce que nous appelons la Health Valley qui s’étend de Genève à Bâle, Zurich et la France voisine. La Genève internationale dispose d’un écosystème académique exceptionnel reposant sur les sciences de la vie, les sciences des données et de l’ingénieur et les sciences humaines et sociales. Nous avons aussi l’expertise éthique et technologique nécessaire à une époque où l’on se pose beaucoup de questions sur l’intelligence artificielle, les réseaux sociaux, le big data, les droits de l’homme dans un contexte de radicalité technologique. De plus, Genève est une pionnière dans l’émergence d’un mouvement dit de santé globale de précision et la transformation des pratiques de santé publique.
En quoi ce qu’on appelle la Health Valley représente un atout? Oui, cette Health Valley offre une concentration unique d’équipes de recherche de très haut niveau, de spécialistes universitaires très cotés qui promeuvent une production scientifique, mais aussi industrielle ainsi que l’innovation. La Health Valley a généré la création d’une multitude de start-up grâce au soutien de la Confédération et des cantons. A l’EPFL à Lausanne par exemple, de petites start-up proposent des radiographies numériques tropicalisées qui prennent en compte les contraintes de l’Afrique subsaharienne où il n’y a pas toujours de l’électricité. Des ingénieurs travaillent dans une perspective haute technologie, mais aussi bas coûts. D’autres start-up s’intéressent aux drones permettant d’acheminer rapidement des vaccins ou produits sanguins en respectant la chaîne du froid et l’environnement. En France voisine, une société s’est spécialisée dans la stérilisation des équipements médicaux dans les hôpitaux en recourant à des quantités limitées d’eau grâce à l’utilisation de rayons ultraviolets et d’ozone. Pour stériliser, il faut souvent énormément d’énergie car le processus nécessite de hautes températures et beaucoup d’eau.
Cette Health Valley est-elle reconnue en tant que telle? Oui, elle l’est. Mais elle n’est pas encore suffisamment connectée avec les organisations internationales à Genève. Du côté de ces dernières, on n’a pas encore suffisamment le réflexe d’aller chercher des solutions pratiques auprès des sociétés de la Health Valley.
En quelques années, Genève a vu émerger plusieurs centres de santé globale, à l’Université de Genève et à l’Institut de hautes études internationales et du développement. Quelle en est la raison? La santé est indéniablement l’un des grands succès de la Genève internationale. Hormis l’OMS, qui s’y est établie il y a 70 ans, il y a d’importantes fondations comme le Gavi et le Fonds global de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Il y a le DNDI (Drugs for Neglected Diseases Initiative), mais aussi des organisations faîtières comme celle des industriels des médicaments (IFPMA). Genève concentre presque de manière monopolistique la santé globale. Il n’y a pas d’autre endroit sur la planète où convergent chaque année au mois de mai 194 ministres de la santé qui viennent avec d’imposantes délégations.
Pour mesurer l’importance de l’Assemblée mondiale de la santé de mai, il suffit d’observer des pays comme la Thaïlande. Sa délégation dépêchée à Genève est plus importante que celle des Etats-Unis! Pour les Thaïlandais, l’Assemblée mondiale de l’OMS est un moment majeur pour former leurs équipes de santé, pour procéder à des échanges culturels, industriels et d’expertise.
Et quand on parle de santé globale, Genève ne pense pas qu’à l’aspect planétaire. Elle y inclut la coopération transdisciplinaire entre épidémiologistes, virologues, économistes, historiens, sociologues, ingénieurs ainsi que le secteur privé et non académique. Aujourd’hui, il est inimaginable de traiter d’Ebola dans son coin, sans impliquer, hormis l’OMS et d’autres organisations, Médecins sans frontières, un producteur de vaccins et d’autres organismes privés. C’est une nouvelle forme de multilatéralisme qui va bien au-delà des relations interétatiques. ▅