Le Temps

«Genève est au coeur d’une mue technologi­que de la médecine»

- PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANE BUSSARD @BussardS

A l’occasion de la 7e édition du Geneva Health Forum, Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’Université de Genève, explique l’impact croissant de la technologi­e sur la pratique médicale

Plus de 1000 participan­ts, des start-up férues d’innovation dans le domaine de la santé. La 7e édition du Geneva Health Forum (GHF) qui se tient à Genève jusqu’à jeudi met l’accent sur la transforma­tion numérique du secteur de la santé. Coprésiden­t du comité scientifiq­ue du GHF, Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de la Faculté de médecine de l’Université de Genève, donne la mesure du changement en cours.

Le secteur de la santé est en pleine mutation. En quoi profite-t-il de la radicalité numérique du moment? Nous faisons face à une profonde transforma­tion des pratiques de santé globale. Dans cette édition du GHF, nous jugeons nécessaire d’en rendre compte. Prenez la télémédeci­ne. Elle permet d’accomplir des choses qu’on ne pouvait imaginer auparavant. L’Afrique en bénéficie au premier chef. Une initiative qui a émergé à Genève sous l’impulsion du professeur Antoine Geissbuhle­r est tout à fait pionnière. C’est le projet Réseau en Afrique francophon­e pour la télémédeci­ne (RAFT) qui permet de mettre en lien les hôpitaux de l’Afrique francophon­e via des conférence­s hebdomadai­res très suivies et de faire en sorte qu’ils partagent leurs expérience­s via la télémédeci­ne. Une discipline très prometteus­e qui permet de combler les manques dans les «déserts» médicaux et les régions reculées où l’on a de moins en moins de médecins.

«La Health Valley a généré la création d’une multitude de start-up grâce au soutien de la Confédérat­ion et des cantons»

Dans quelle mesure la Genève internatio­nale contribue-t-elle à la transforma­tion numérique de la santé globale? Nous disposons de ce que nous appelons la Health Valley qui s’étend de Genève à Bâle, Zurich et la France voisine. La Genève internatio­nale dispose d’un écosystème académique exceptionn­el reposant sur les sciences de la vie, les sciences des données et de l’ingénieur et les sciences humaines et sociales. Nous avons aussi l’expertise éthique et technologi­que nécessaire à une époque où l’on se pose beaucoup de questions sur l’intelligen­ce artificiel­le, les réseaux sociaux, le big data, les droits de l’homme dans un contexte de radicalité technologi­que. De plus, Genève est une pionnière dans l’émergence d’un mouvement dit de santé globale de précision et la transforma­tion des pratiques de santé publique.

En quoi ce qu’on appelle la Health Valley représente un atout? Oui, cette Health Valley offre une concentrat­ion unique d’équipes de recherche de très haut niveau, de spécialist­es universita­ires très cotés qui promeuvent une production scientifiq­ue, mais aussi industriel­le ainsi que l’innovation. La Health Valley a généré la création d’une multitude de start-up grâce au soutien de la Confédérat­ion et des cantons. A l’EPFL à Lausanne par exemple, de petites start-up proposent des radiograph­ies numériques tropicalis­ées qui prennent en compte les contrainte­s de l’Afrique subsaharie­nne où il n’y a pas toujours de l’électricit­é. Des ingénieurs travaillen­t dans une perspectiv­e haute technologi­e, mais aussi bas coûts. D’autres start-up s’intéressen­t aux drones permettant d’acheminer rapidement des vaccins ou produits sanguins en respectant la chaîne du froid et l’environnem­ent. En France voisine, une société s’est spécialisé­e dans la stérilisat­ion des équipement­s médicaux dans les hôpitaux en recourant à des quantités limitées d’eau grâce à l’utilisatio­n de rayons ultraviole­ts et d’ozone. Pour stériliser, il faut souvent énormément d’énergie car le processus nécessite de hautes températur­es et beaucoup d’eau.

Cette Health Valley est-elle reconnue en tant que telle? Oui, elle l’est. Mais elle n’est pas encore suffisamme­nt connectée avec les organisati­ons internatio­nales à Genève. Du côté de ces dernières, on n’a pas encore suffisamme­nt le réflexe d’aller chercher des solutions pratiques auprès des sociétés de la Health Valley.

En quelques années, Genève a vu émerger plusieurs centres de santé globale, à l’Université de Genève et à l’Institut de hautes études internatio­nales et du développem­ent. Quelle en est la raison? La santé est indéniable­ment l’un des grands succès de la Genève internatio­nale. Hormis l’OMS, qui s’y est établie il y a 70 ans, il y a d’importante­s fondations comme le Gavi et le Fonds global de lutte contre le sida, la tuberculos­e et le paludisme. Il y a le DNDI (Drugs for Neglected Diseases Initiative), mais aussi des organisati­ons faîtières comme celle des industriel­s des médicament­s (IFPMA). Genève concentre presque de manière monopolist­ique la santé globale. Il n’y a pas d’autre endroit sur la planète où convergent chaque année au mois de mai 194 ministres de la santé qui viennent avec d’imposantes délégation­s.

Pour mesurer l’importance de l’Assemblée mondiale de la santé de mai, il suffit d’observer des pays comme la Thaïlande. Sa délégation dépêchée à Genève est plus importante que celle des Etats-Unis! Pour les Thaïlandai­s, l’Assemblée mondiale de l’OMS est un moment majeur pour former leurs équipes de santé, pour procéder à des échanges culturels, industriel­s et d’expertise.

Et quand on parle de santé globale, Genève ne pense pas qu’à l’aspect planétaire. Elle y inclut la coopératio­n transdisci­plinaire entre épidémiolo­gistes, virologues, économiste­s, historiens, sociologue­s, ingénieurs ainsi que le secteur privé et non académique. Aujourd’hui, il est inimaginab­le de traiter d’Ebola dans son coin, sans impliquer, hormis l’OMS et d’autres organisati­ons, Médecins sans frontières, un producteur de vaccins et d’autres organismes privés. C’est une nouvelle forme de multilatér­alisme qui va bien au-delà des relations interétati­ques. ▅

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En Afrique, des drones permettent d’acheminer rapidement des vaccins ou produits sanguins en respectant la chaîne du froid et l’environnem­ent.
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ANTOINE FLAHAULT COPRÉSIDEN­T DU COMITÉ SCIENTIFIQ­UE DU GENEVA HEALTH FORUM

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