La démocratie libérale: fin de partie?
La réélection triomphale de Viktor Orbán en Hongrie, quelques semaines après les élections italiennes qui ont placé en tête les deux partis populistes, a relancé le débat sur la fin des démocraties libérales qui ont caractérisé les pays développés depuis 1945. Dans tous ces pays, ou presque, les partis traditionnels sont soit en recul marqué, soit en débandade. Le monde tel que nous l’avons connu va-t-il disparaître? Il est très peu probable que l’histoire bifurque ainsi.
C’est vrai, la démocratie est secouée dans plusieurs pays d’Europe, à l’Ouest comme à l’Est, et plus encore en Turquie et en Russie. Souvent qualifiées de populistes, parce que leurs propositions sont calibrées pour apparaître efficaces alors qu’elles sont trop simplistes pour fonctionner, ces forces politiques assoient leur pouvoir de conviction sur la perte de crédibilité des partis politiques traditionnels et des élites. Ces derniers sont accusés, non sans justification, de n’avoir pas vu venir la crise financière, qui n’était pas censée avoir lieu et qui a été traitée par des injections massives de prêts aux banques, créant l’apparence d’une collusion entre pouvoir politique et pouvoir de l’argent. Ils emportent l’adhésion des classes moyennes qui n’ont pas profité de la mondialisation et du progrès technologique associé au traitement de l’information.
C’est le cas des Etats-Unis, avec l’arrivée au pouvoir de Trump, en Grande-Bretagne avec le Brexit, et en Europe de l’Ouest, mais ce renversement est parfaitement démocratique, porté par des élections libres. C’est aussi en partie le cas en Europe de l’Est, en Russie et en Turquie, où les populistes sont arrivés au pouvoir par les urnes, avant de pervertir la démocratie en prenant le contrôle de l’information et de la justice, faussant ainsi le jeu démocratique sans toutefois remettre en cause le principe des élections. Mais dans ces pays, l’arrivée de la démocratie est trop récente pour avoir pris racine en profondeur.
Dans tous les cas, cette mise sous contrôle autoritaire de la démocratie dépend de la capacité des régimes autoritaire à assurer la croissance économique et d’en faire largement partager les fruits. Or en général, l’illibéralisme politique va de pair avec l’illibéralisme économique, avec des exceptions comme au Chili sous Pinochet. Instinctivement, ceux qui doutent de la démocratie pleine et entière ne font pas confiance aux marchés parce qu’ils échappent à leur contrôle. Ils promettent plus de revenus et d’emplois à leurs électeurs et s’imaginent que le meilleur moyen d’y parvenir est le dirigisme économique. Or l’expérience mille fois répétée est que le dirigisme économique ne fonctionne pas, ou du moins pas très longtemps. Tôt ou tard, le bidouillage échoue parce que, entre autres, il s’accompagne de corruption, comme on le voit au Venezuela.
Dans les pays avancés, Trump perdra sa bataille protectionniste. Comme pour le Brexit, ce sont les classes moyennes qui seront frappées le plus durement. Ailleurs en Europe de l’Ouest, quand ils arrivent au pouvoir, les populistes sont vite confrontés à la vacuité des solutions qu’ils proposent et sont amenés à se renier. On l’a vu en Grèce avec Tsipras. Dans la dernière ligne droite des élections, les partis illibéraux italiens ont retiré leurs promesses de sortie de l’Europe. En France, après avoir lourdement perdu, Marine Le Pen a fait de même. Le parti au pouvoir en Pologne a déjà profondément reculé dans les sondages et la situation économique se dégrade lentement en Hongrie.
Bien sûr, le reflux de la vague antidémocratique et illibérale n’est pas nécessairement pour demain. Beaucoup dépend de ce qui se passera dans les pays qui n’ont pas basculé. Il faudra corriger les erreurs du passé, à commencer par mieux faire profiter les classes moyennes des fruits de la croissance retrouvée. Malheureusement, pour l’instant, la prise de conscience n’a pas eu lieu. Les élites sont inquiètes, bien sûr, mais elles n’ont pas encore articulé leur réponse à ce défi historique.
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