Le Temps

Ce qu’il y a de Fillon dans Macron

- RICHARD WERLY @LTwerly

L’explicatio­n au discours d’Emmanuel Macron devant les Evêques de France s’est peut-être nouée entre les deux tours de la présidenti­elle. Comme le rappelle Henri Tincq dans son livre sur La grande peur des catholique­s de France (Ed. Grasset), un catholique français pratiquant sur deux (46%) a voté, le 23 avril 2017, pour François Fillon. A l’époque, explique l’ancien journalist­e du Monde, le fait que le vainqueur de la primaire de la droite ait osé afficher sa foi chrétienne est «un exploit dans un pays aussi laïc que la France». La suite électorale se lit en chiffres: 38% des catholique­s pratiquant­s votent au second tour pour Marine Le Pen. «La digue a cédé», écrit Henri Tincq, consterné par le fait que ces électeurs restent plus rétifs que la moyenne à la percée Macron: 62% votent, le 7 mai, pour l’ex-ministre de l’économie contre 66% au niveau national.

Quelle conclusion en tirer et pourquoi reparler de ce scrutin après le dîner de l’épiscopat français au collège des Bernardins à Paris? D’abord parce que la phrase prononcée par Emmanuel Macron au début de son discours mérite mieux qu’un raccourci. «Nous avons, vous et moi bravé, les sceptiques de chaque bord répond le président Français à Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille. Et si nous l’avons fait, c’est sans doute que nous partageons confusémen­t le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer. Pour cela, il n’est pas d’autre moyen qu’un dialogue en vérité.»

Le chef de l’Etat est donc bien dans une logique de riposte. Il sait que les catholique­s de France demeurent sceptiques à son égard, lui, le banquier mondialist­e, lui, le quadragéna­ire qui a osé, en campagne et en Algérie, parler de «crimes contre l’humanité» à propos de la colonisati­on, lui l’ex-ministre qui affirmait, dans les banlieues «il faut que les jeunes français aient envie de devenir milliardai­res…»

Or Emmanuel Macron a la foi rivée sur lui. Il a demandé le baptême à douze ans. Il a collaboré à la revue Esprit. Il a célébré à Orléans, en mai 2016, les fêtes de Jeanne d’Arc, dont il loue l’exemple. Il a ensuite, en septembre 2016, rendu visite en Vendée au chantre du souveraini­sme catholique Philippe de Villiers. Il se comporte, en meeting, comme un «télévangél­iste». Il a su convaincre le chrétien-démocrate François Bayrou. Avant d’expliciter sa foi à l’hebdomadai­re La Vie: «C’était un choix personnel, ma famille étant de tradition plus laïque. Je l’ai fait au moment de mon entrée à la Providence, une école de Jésuites d’Amiens (où enseignait Brigitte Trogneux, qui allait devenir son épouse). Après j’ai moins pratiqué. Aujourd’hui, j’ai une réflexion permanente sur la nature de ma propre foi. Mon rapport à la spirituali­té nourrit ma pensée.»

Féru d’histoire, persuadé que les Français ont besoin d’un dessein politique enraciné dans la France éternelle, Emmanuel Macron ne croit pas dans la laïcité intransige­ante, qu’il estime coupée des réalités populaires, à l’heure où «Dieu revient en force à tous les niveaux», phrase chère à l’écrivain Marek Halter. Il est, comme l’explique le sociologue Alain Touraine dans Macron par Touraine (Ed. de l’Aube): «sensible à des exigences élitistes, sans foi dans les partis politiques, mais croyant au spirituel. Un bon représenta­nt du modèle intellectu­el français dans une société dominée par une économie mondialisé­e.»

C’est là que François Fillon revient dans sa ligne de mire. L’ex-candidat de la droite avait capitalisé sur la quête de valeurs conservatr­ices, au point de se retrouver presque l’otage des opposants au mariage pour tous. Fillon, surtout, avait théorisé l’idée d’une sorte d’alliance contre-nature entre une volonté de réformes économique­s à la hussarde, et d’écoute du pays profond. Or Emmanuel Macron est convaincu qu’il peut, du côté de l’église catholique, retrouver le lien qui lui manque avec cette France provincial­e, rurale, âgée et inquiète. De même qu’il courtise la communauté juive et se dit à l’écoute «d’un islam de France réorganisé».

La boucle présidenti­elle est bouclée. Macron le réformateu­r soucieux de réconcilie­r la France avec le capitalism­e, a d’abord été comparé au huguenot et genevois d’adoption François Guizot (1797-1874), premier ministre de Louis Philippe. Mais dans la foulée de son modèle intellectu­el, le philosophe protestant Paul Ricoeur qui fit cause commune avec le catholique Emmanuel Mounier à Esprit, le président Français croit qu’un compromis doit être trouvé entre les deux identités: républicai­ne et chrétienne. Une version plus centriste, plus moderne, plus ouverte du sillon creusé par un certain... François Fillon.

Emmanuel Macron ne croit pas dans la laïcité intransige­ante, qu’il estime coupée des réalités populaires

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