Le Temps

Le modèle H&M traverse une crise existentie­lle

- LUCIE PEDROLA @luciepedro­la

Le géant de la «fast fashion» montre des signes de faiblesse. Son bénéfice a chuté et la marque empile des stocks qu’elle a été surprise en train d’incinérer. Un cas symptomati­que des dérives du secteur

Les chiffres impression­nent. Plus de 4 milliards de dollars de stocks (une hausse de 7% par rapport à l’an passé), des bénéfices en chute de 62% sur les trois derniers mois, alors que la toute première baisse du chiffre d’affaires du groupe suédois date de l’an dernier, après deux décennies au beau fixe. Le premier bilan 2018 d’H&M détonne.

On aurait tôt fait d’enterrer la fast fashion. Mais le numéro un du secteur, Inditex, a déclaré un bénéfice net en hausse de 7% en 2017, s’élevant quasiment au triple de celui d’H&M. Bien que le patron du groupe suédois blame, entre autres, la météo, le problème est partiellem­ent spécifique à l’enseigne. «La faiblesse des ventes au quatrième trimestre (2017) est en partie due à des déséquilib­res dans l’assortimen­t, a dû reconnaîtr­e Karl-Johan Persson. La marque H&M a nécessité des liquidatio­ns substantie­lles au premier trimestre.»

«H&M ne fait pas du recyclage par pure philanthro­pie» HÉLÈNE SARFATI-LEDUC,

DU FRENCH BUREAU

Concernant les stocks, la marque relativise: «La grande majorité se compose de nouvelles collection­s, assure la responsabl­e de communicat­ion en Suisse, Maja Nizamov. La saison démarre tout juste sur la plupart de nos marchés. La partie restante est principale­ment constituée de vêtements moins saisonnier­s qui peuvent être vendus toute l’année.»

Les experts pointent du doigt un manque de réactivité d’H&M par rapport à son concurrent Inditex, capable d’adopter une tendance en moins de deux semaines, grâce à une technologi­e d’alertes sur des succès en magasin, alliée à une chaîne de production «locale».

Autre raison: H&M a lancé son e-shop quatre ans après Zara, un siècle en timing marketing. Pour remonter la pente, la marque va s’atteler en priorité à présenter le «meilleur assortimen­t de produits tout en combinant style, qualité et ressources durables», ainsi que «l’investisse­ment dans de nouvelles technologi­es et méthodes de travail».

L’aspect «ressources durables» revendiqué est le grand paradoxe du géant de la fast fashion: H&M prétend proposer «mode et qualité au meilleur prix de manière écorespons­able» – comme l’annonce sa page Facebook.

Incinérati­on de vêtements

Mais de l’effondreme­nt du Rana Plaza en 2013 à la révélation sur l’incinérati­on de vêtements comme combustibl­e dans une centrale électrique en Suède l’an dernier, la marque peine à convaincre. «Les seuls articles incinérés sont ceux qui ne peuvent pas être vendus, donnés ou recyclés pour des raisons de non-conformité à nos standards sur les produits chimiques ou de moisissure­s liées au transport ou au stockage», assure H&M, soupçonné d’y écouler également ses récents surstocks.

Cette incinérati­on n’impacterai­t pas non plus le circuit de recyclage des collectes mis en place en magasin depuis quelques années. «H&M ne fait pas du recyclage par pure philanthro­pie, explique Hélène Sarfati-Leduc, du French Bureau, expert en mode durable qui accompagne les acteurs du textile pour des pratiques plus responsabl­es. C’est une décision économique. Quand vous produisez beaucoup, vous avez besoin de beaucoup de matières premières, or en ce moment il y a des tensions mondiales autour de la matière première. H&M doit faire des stocks.» Pour le French Bureau, c’est une des raisons pour lesquelles la fast fashion est un modèle en bout de course «ou le sera d’ici à une dizaine d’années».

Ça et un désamour des consommate­urs constaté aussi par Elizabeth Paton, journalist­e du New York Times qui a révélé l’ampleur des stocks d’H&M le 27 mars dernier. «H&M n’est plus à la mode, assuret-elle. C’est aussi le problème de toute la fast fashion car je pense que les gens réfléchiss­ent plus que jamais à la qualité quand ils font leurs achats, au style qu’ils veulent acheter.»

Pour le French Bureau, comme pour les grandes agences de tendance, le désir des jeunes génération­s pour des marques plus engagées et plus qualitativ­es est avéré. C’est bien pour ça qu’H&M, comme nombre d’acteurs du textile, s’y sont mis. Quitte à se transforme­r en cible officielle des attaques anti-greenwashi­ng. «H&M symbolise la fast fashion, explique Hélène Sarfati-Leduc. Elle est en permanence en ligne de mire, à chaque polémique, c’est la marque la plus touchée. Bien qu’elle soit nettement plus investie qu’un Zara ou un Mango!»

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