Le Temps

Le procès de l’Euribor s’ouvre en l’absence des principaux prévenus

- ÉRIC ALBERT, LONDRES @IciLondres

Seuls quatre des onze prévenus sont présents. Deux Français sont accusés d’être au coeur du système de manipulati­on des taux

Le box aux parois de verre blindé dans la salle numéro six du tribunal de Southwark, à Londres, était bien vide ce mercredi 11 avril. Pour le début du procès de la manipulati­on de l’Euribor, un taux d’intérêt de référence, seuls quatre des onze prévenus qui étaient accusés au début de la procédure, en 2012, étaient présents. Quatre Allemands et deux Français ont refusé de s’y rendre, estimant que les faits étaient prescrits ou qu’ils ne constituai­ent pas une infraction dans leur pays.

Un troisième Français, considéré par l’accusation comme le personnage central de la fraude, a au contraire plaidé coupable au dernier moment, le mois dernier, dans un coup de théâtre qui a chamboulé l’audience. Il ne reste plus que quatre personnes à comparaîtr­e, seconds couteaux de l’affaire: Achim Kraemer, de Deutsche Bank, et Carlo Palombo, Colin Bermingham et Sisse Bohart de Barclays.

Des faits guère contestés

Etrange procès que celui de l’Euribor. D’un côté, le Serious Fraud Office (SFO), l’équivalent britanniqu­e du parquet national financier, estime qu’il s’agit d’une des plus importante­s fraudes financière­s récentes. Selon James Waddington, son avocat, un groupe de banquiers a «manipulé le système financier pour arnaquer de nombreuses personnes». En son coeur se trouveraie­nt les «principaux protagonis­tes», deux Français: Christian Bittar, trader star de Deutsche Bank, et «son vieil ami» Philippe Moryoussef, trader à Barclays.

De l’autre côté, les banquiers accusés crient au scandale. L’avocat de Philippe Morryousse­f, François de Castro, dénonce des «violations graves et réitérées aux principes du procès équitable». Selon lui, la justice britanniqu­e approche cette affaire de façon biaisée, refusant en particulie­r le témoignage clé des créateurs de l’Euribor, que les deux Français voulaient utiliser.

Etrangemen­t, les faits, qui se situent entre 2005 et 2009, ne sont guère contestés. Mais les banquiers estiment simplement que ce qui leur est reproché ne constitue pas un délit. Ils disent avoir agi en fonction des règles des marchés de l’époque, utilisant les mêmes pratiques que tous leurs collègues. En substance, ils estiment servir de bouc émissaire pour la crise financière.

L’Euribor est un taux d’intérêt interbanca­ire, proche cousin du Libor, un taux similaire, également

Les banquiers répliquent qu’il ne s’agissait pas de manipulati­on, mais d’appréciati­on à la marge

au coeur d’un scandale. Chaque jour, 48 banques soumettent le taux auquel elles empruntent aux autres, dans le cadre de la gestion de leurs liquidités. A 11h00, la moyenne pondérée est réalisée, et sert de référence à des millions de produits financiers à travers la planète.

Ce système de calcul a rapidement ouvert la possibilit­é à la «manipulati­on» dénoncée par le SFO. A l’intérieur des banques, certains employés sont chargés de déclarer le taux du jour. D’autres sont au contraire chargés de spéculer sur l’Euribor et le Libor. Assez rapidement, les seconds ont donc demandé aux premiers de les aider dans leur tâche, en augmentant ou baissant légèrement le taux du jour. Le SFO a retrouvé de nombreux messages électroniq­ues entre les banquiers qui le prouvent.

Pour James Waddington, l’avocat du SFO, cela revient à «truquer un match lors d’un pari sportif». Les banquiers répliquent qu’il ne s’agissait pas de manipulati­on, mais d’appréciati­on à la marge: les taux d’intérêt sur les marchés ne sont pas une science exacte, et peuvent évoluer à quelques points de base près (un point de base est 0,01%). De plus, il s’agissait d’une pratique généralisé­e à tout le système financier. Le procès – ou ce qu’il en reste – doit durer trois mois.

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(PETER NICHOLLS/REUTERS) L’ancien trader vedette de Deutsche Bank Christian Bittar, au coeur de l’affaire et absent du procès.

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