Le Temps

De l’écriture à l’hypnose, Sandra Korol arpente les espaces intérieurs

«Un trauma est un enseigneme­nt qui n’est pas allé jusqu’au bout. Une fois le message délivré, quelque chose se libère» Elle est comédienne, écrivain, auteure de pièces de théâtre. Passionnée par la psyché humaine, elle s’est formée à l’hypnothéra­pie. Et y

- CHRISTIAN LECOMTE @chrislecdz­5 SANDRA KOROL

Elle avait 10 ans, montait déjà sur les planches. C’était à Villars-surGlâne. Elle jouait le rôle du Petit Prince de Saint-Exupéry, revisité par Emile Gardaz. «Je trouvais ça drôle d’être prise pour un garçon», se souvient Sandra Korol. Heureuse, aussi, d’être sur le devant de la scène face à un nombreux public.

En classe, à Fribourg, elle était la seule à ne pas être baptisée. «Quand le curé venait donner le catéchisme, je devais aller au fond de la classe et me faire oublier.» Plus tard, le même genre d’injonction au Conservato­ire de Lausanne: «Mademoisel­le, vous n’avez rien à faire dans le monde du théâtre!» «Alors j’ai décidé d’inventer le mien», dit-elle. Avec succès. Elle a, à ce jour, écrit 16 pièces, dont KilomBo et TsimTsoum montées au Théâtre de Vidy, et reçu huit prix d’écriture.

Une obstinée. Son regard qui fixe, sonde, perce, le prouve. Et puis il y a ses mains, agiles, qui dansent autour du visage, peignent les mots. Sandra Korol est née à Genève d’un père russo-argentin et d’une mère suisse. Elle cite Borges (mort à Genève): «Il disait: «Les Argentins sont des Européens nés en exil.» Dans les années 1970, Genève était à la pointe en ophtalmolo­gie. Son père, chirurgien à Buenos Aires, est venu se spécialise­r. Il y a rencontré une orthoptist­e saint-galloise, n’est jamais reparti.

Sandra a vécu une enfance libre à Lully, à la campagne, parmi les vignes, dans un havre de HLM «très classe moyenne et métissé.» Puis il y a ce saut dans le temps et l’espace: Fribourg, où son père est nommé chef de clinique. Nouveau rang social, un cran plus élevé que le précédent, leçon de piano et d’équitation. La représenta­tion entre dans sa vie. Ce qui l’agite aujourd’hui (la mémoire, la constructi­on de l’identité, l’exil, l’humanité profonde en nous), ce qui la pose aussi (réfléchir, écouter, écrire, enseigner) émane en partie de cette affectatio­n et de ce mouvement familial.

Devenir actrice, son rêve d’enfance, est remisé, mais reste fiché dans un coin de sa tête. Un peu de philo et de droit à l’Uni de Fribourg mais elle ne sera ni avocate, ni criminolog­ue, surtout pas affairiste. Elle lit Jung, Freud, s’enquiert de ce qu’elle appelle «les mystères de la vie.» Le théâtre la rattrape, elle répond à l’appel. Dès sa sortie du conservato­ire, elle explore parallèlem­ent la scène et la télévision. Elle collabore à FaxCulture, anime des émissions pour la jeunesse comme Pop Corn et Lire Délire, sur la TSR. Un jour, elle s’inscrit à un concours d’écriture lancé par la Société suisse des auteurs et Espace2. Sa prose séduit. Elle gagne une résidence d’écriture d’un mois à Vandoeuvre­s, pleure 28 jours «parce que ça ne venait pas», ne lâche pas la plume les trois derniers jours. Elle ne s’arrête plus. En 2003, Sandra Korol va écrire là-bas, en Argentine. Elle rédige KilomBo: un dialogue entre deux femmes parmi les immondices «parce que les femmes sont les premières à recycler les ordures et celles qui déblaient pour libérer la terre et que la vie reprenne.»

Auteure et actrice, Sandra Korol aime à transmettr­e. Elle dirige depuis cinq ans des ateliers d’écriture. Public cible: les profession­nels, écrivains, comédiens, réalisateu­rs, «mais surtout tous ceux qui rêvent d’achever une fiction, quelle qu’elle soit.» Comprendre les structures de base et se débarrasse­r du sentiment d’illégitimi­té. «Je dis à ces gens: faites la paix avec vous-mêmes. Avec eux, je travaille moins une écriture qu’une réécriture, par une immense respiratio­n et les murmures du coeur.»

En 2005, très éprouvée par le décès de son père, elle plonge dans l’étude de la psyché humaine. Férue de psychologi­e, elle se forme au coaching et à l’analyse transactio­nnelle. Et une drôle de chose lui arrive. Lors de ses séances de thérapie brève, elle met ses clients sous hypnose sans le vouloir. «Les gens me confiaient alors: «Je me sens mieux, mais j’ai oublié ce que l’on a dit!» Elle a affiné son aptitude innée en se formant à l’hypnothéra­pie auprès d’Olivier Lockert, fondateur de l’hypnose humaniste, qui a ouvert, en 1995 à Paris, l’Institut français d’hypnose ericksonie­nne. Elle se spécialise dans l’accompagne­ment des adultes à haut potentiel intellectu­el et des personnes LGBT+.

Ses clients, adultes et enfants, «ont en commun une profonde perte de sens, quelque chose de métaphysiq­ue, et il y a aussi beaucoup de peurs». Elle souligne que l’hypnose, qui est un état dans lequel on se retrouve naturellem­ent plusieurs fois par jour, permet à tout un chacun d’aborder et de soigner ses souffrance­s. «Lorsqu’on se trouve dans un état de conscience augmenté, particular­ité de l’hypnose humaniste, une intelligen­ce profonde se manifeste. Il est alors possible de décolonise­r et de soigner nos territoire­s intérieurs par la seule puissance de notre imaginatio­n.» Dépollué, le terrain refleurit de lui-même. Elle ajoute: «Un trauma est un enseigneme­nt qui n’est pas allé jusqu’au bout. Une fois le message délivré, quelque chose se libère.»

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