Nestlé, entre buffet et responsabilité sociale
A l’assemblée générale du groupe, les actionnaires se sont montrés plus combatifs à l’heure des questions que lors des votes
Nestlé a ouvert son bal du Palais de Beaulieu jeudi, avant l’heure du thé. Comme à chaque printemps, les bus spéciaux ont valsé dans les rues lausannoises. Et les trains ont déversé, depuis la matinée, leur lot de retraités venus des quatre coins du pays pour assister à la 151e assemblée générale de ce fleuron de l’économie suisse.
Gisèle (prénom fictif) a perdu le compte des assemblées. Elle a commencé à yassister «il y a fort longtemps» avec son mari qui «n’est malheureusement plus de ce monde». Enseignante à la retraite, elle déplore la quasi-disparition des stands de produits et la baisse de la participation des actionnaires (1988 sur quelque 2550 inscrits), qu’elle attribue au manque d’intérêt des jeunes et aux horaires. «On a tout le temps, nous, le jeudi après-midi. Mais les jeunes! Ils sont au travail…»
Il y en avait pourtant quelques-uns devant Beaulieu. Ceux de l’ONG Multiwatch, qui avaient prévu de dénoncer la «privatisation de l’eau par Nestlé» dans le sud-est brésilien, en distribuant aux actionnaires de «l’eau ensanglantée» (en réalité un colorant). Vincent Kaufmann leur a offert un écho à l’intérieur de la salle. Lors de la séance des questions, le directeur de la Fondation Ethos, qui représente quelque 226 caisses de pension et institutions suisses, a dressé une liste de griefs. De la gestion de l’eau outre-Atlantique au boycott des produits par certains détaillants (dont Coop), en passant par la diminution des effectifs helvétiques de 8% depuis 2015.
Rappelant une image utilisée par Paul Bulcke pour illustrer l’exposition de la multinationale – «Plus un arbre est élevé dans la forêt, plus il prend de vent» –, Vincent Kaufmann a enfoncé le clou: «Il semblerait qu’il y ait aujourd’hui de plus en plus de vent!»
Les aînés se sont succédé sur scène, qui pour déplorer la «disparition du Nestlé de mon adolescence», qui pour contester le déplacement du centre de recherche sur le chocolat en Grande-Bretagne, le «pays qui produit le pire chocolat du monde». Ou pour dénoncer la hausse des primes maladie (sic).
A l’égard des critiques, Paul Bulcke a exprimé la volonté de «toujours engager le dialogue» avec toutes les parties prenantes et souligné que «la création de valeur partagée» ne se réalise ni dans les salles de réunion ni dans les couloirs du parlement ou les tribunaux. Une référence à l’initiative pour des multinationales responsables qui permettrait de déposer plainte en Suisse pour des violations des droits humains commises à l’étranger. «Cela mettrait non seulement en danger notre façon de créer de la valeur partagée, mais en plus, découragerait beaucoup d’entreprises à adopter cette approche», a tranché Paul Bulcke.
Les actionnaires se sont montrés plus combatifs lors des questions qu’au moment du vote. Le rapport de gestion? Approuvé à 99,49%. La réélection des membres du conseil d’administration: entre 91% (Mark Schneider) et 99% (Patrick Aebischer).
Et Paul Bulcke d’inviter les actionnaires à rejoindre le buffet. «Si tu veux une glace, il faut y aller maintenant, glisse un photographe. Parce qu’après, il y a mille grandsmères qui se ruent dessus.» Et il paraît que c’est ainsi depuis 151 ans.