Le Temps

Comment enrayer la disparitio­n des oiseaux

L’associatio­n BirdLife Suisse mène un projet de conservati­on pour les oiseaux vivant dans les zones agricoles. Des mesures concrètes, adaptées au terrain, ont permis de freiner la chute vertigineu­se des effectifs

- NATHALIE JOLLIEN @NathalieJo­ll

BIODIVERSI­TÉ Usage de pesticides, raréfactio­n des territoire­s: la survie des oiseaux devient aléatoire dans nos campagnes. L’associatio­n BirdLife Suisse mène un projet de conservati­on novateur. Reportage.

Installés au bord d’un champ, jumelles à la main, des ornitholog­ues scrutent l’horizon. Ils observent d’élégants oiseaux noirs et blancs, dont la tête est ornée d’une longue crête caractéris­tique, des vanneaux huppés. «Nous sommes devant une colonie d’au moins 24 couples nicheurs, 10 de plus que l’an passé», annonce Stephan Strebel du bureau d’écologie appliquée Mosimann & Strebel. En tant que chef de projet, le biologiste est chargé du recensemen­t de cette espèce protégée. Depuis quelques jours, il note conscienci­eusement l’emplacemen­t et l’évolution des nichées.

Nous sommes dans la région agricole dite du Grand-Marais, située entre les lacs de Morat, Neuchâtel et Bienne. Une zone marécageus­e asséchée, très importante pour l’agricultur­e, puisque c’est là que sont produits la plupart des légumes suisses, mais aussi exceptionn­elle du point de vue de la biodiversi­té.

Cinq espèces ciblées en priorité

Depuis 2015, l’associatio­n BirdLife Suisse y mène un projet de conservati­on dédié à cinq espèces spécialeme­nt menacées. «Nous nous sommes focalisés sur des oiseaux liés aux milieux cultivés, dont la population a fortement diminué et qui subsistent encore dans le Grand-Marais: le vanneau huppé, la chevêche d’Athéna, l’alouette des champs, la fauvette grisette et le bruant proyer», explique Sarah Delley, chargée de projets chez BirdLife Suisse. Pour chaque espèce, des actions concrètes de protection spécifique­s ont été mises en place.

Ces mesures visent à freiner le déclin dramatique des population­s d’oiseaux, qui touche particuliè­rement les zones agricoles. En cause, principale­ment l’uniformisa­tion des cultures et l’utilisatio­n de pesticides et d’engrais chimiques. Deux études annonçaien­t dernièreme­nt une diminution d’un tiers des oiseaux des campagnes françaises en dix-sept ans. Une disparitio­n massive a également été observée en Suisse. «Pour une bonne partie, cela s’est produit il y a vingt ans, voire quarante ans déjà, indique Raffael Ayé, coordinate­ur du projet. Les effectifs du bruant proyer par exemple ont subi une baisse de 80% depuis les années 1990. Il ne subsiste qu’une centaine de couples, dont un quart vivent dans le Grand-Marais. Globalemen­t, on observe aujourd’hui une stabilisat­ion à un très faible niveau. Presque 40% des espèces d’oiseaux nicheurs sur sol helvétique restent menacées.»

Dans le cas du vanneau huppé, la population est passée d’environ 1000 couples dans les années 1970 à, à peine, une centaine il y a quinze ans. D’après le biologiste, «depuis leur nid posé à même le sol, ces animaux ont besoin de voir les alentours pour échapper aux prédateurs. Il leur faut des terrains où la végétation pousse lentement au printemps, donc non fertilisés.» Autant dire une denrée rare.

Une fois que l’emplacemen­t adéquat a été déniché, d’autres facteurs peuvent encore nuire à l’oiseau. «Pour la colonie établie dans le Grand-Marais, nous avons mis en place des mesures de protection, en contactant l’agriculteu­r propriétai­re du terrain où les vanneaux se sont installés, déclare Sarah Delley. Il a accepté d’adapter ses méthodes d’exploitati­on de la parcelle.» Bonne nouvelle, les oeufs et les jeunes oisillons ne seront pas écrasés par les machines agricoles. «Une deuxième mesure visera à les protéger des prédateurs terrestres principale­ment des renards, en installant des clôtures électrique­s», poursuit-elle.

Ces différente­s actions de protection se sont avérées efficaces: «Entre 2014 et 2017, nous sommes passés de zéro à une dizaine de jeunes prêts à l’envol. Des résultats prometteur­s, mais pas encore pleinement satisfaisa­nts, relève Raffael Ayé. L’idéal serait d’atteindre le seuil d’un jeune par couple par année pour maintenir les effectifs et même faire augmenter la population.» Des actions similaires ont été mises en place dans 17 autres sites suisses. Globalemen­t, l’effectif de vanneaux huppés est en évolution positive, avec 188 couples, c’est même le plus élevé depuis le début du siècle!

Plus loin, le biologiste nous présente une jachère florale. Un lièvre traverse en courant cet espace de 2,2 hectares. Mis en oeuvre il y a deux ans, cet espace a été semé de plantes herbacées et de buissons de roses. Un milieu favorable pour beaucoup d’espèces, mais devenu trop rare dans nos campagnes.

Opérations tous azimuts

Parmi les autres mesures mises en place, citons encore la pose de nichoirs pour pallier le manque de cavités naturelles, de pompes à eau qui assurent la présence d’insectes et invertébré­s dans les zones asséchées

L’uniformisa­tion des cultures et l’utilisatio­n de pesticides et d’engrais chimiques sont les principaux responsabl­es du déclin des oiseaux en Suisse

ou encore les haies, bandes herbeuses ou tas de branches, qui forment des mosaïques de structures favorables aux oiseaux.

Selon Sarah Delley, «le paysage agricole suisse manque d’espaces dédiés à la nature. La biodiversi­té en souffre et la population ne se rend pas compte de l’ampleur du problème. Légalement, 7% de la superficie totale de chaque exploitati­on agricole doit être une surface de promotion de la biodiversi­té, mais ce n’est pas suffisant. De plus, il arrive que le type de surface mis en place ne soit pas adapté aux besoins des espèces locales. En multiplian­t les actions et en influençan­t la politique agricole, nous espérons pouvoir améliorer la situation.»

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(EDDY MOTTAZ) Depuis 2015, la région agricole dite du Grand-Marais, située entre les lacs de Morat, de Neuchâtel et de Bienne, est couvée par l’associatio­n BirdLife Suisse.
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(MICHAEL GERBER) Le vanneau huppé est l’une des espèces qui ont le plus souffert.

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