Comment enrayer la disparition des oiseaux
L’association BirdLife Suisse mène un projet de conservation pour les oiseaux vivant dans les zones agricoles. Des mesures concrètes, adaptées au terrain, ont permis de freiner la chute vertigineuse des effectifs
BIODIVERSITÉ Usage de pesticides, raréfaction des territoires: la survie des oiseaux devient aléatoire dans nos campagnes. L’association BirdLife Suisse mène un projet de conservation novateur. Reportage.
Installés au bord d’un champ, jumelles à la main, des ornithologues scrutent l’horizon. Ils observent d’élégants oiseaux noirs et blancs, dont la tête est ornée d’une longue crête caractéristique, des vanneaux huppés. «Nous sommes devant une colonie d’au moins 24 couples nicheurs, 10 de plus que l’an passé», annonce Stephan Strebel du bureau d’écologie appliquée Mosimann & Strebel. En tant que chef de projet, le biologiste est chargé du recensement de cette espèce protégée. Depuis quelques jours, il note consciencieusement l’emplacement et l’évolution des nichées.
Nous sommes dans la région agricole dite du Grand-Marais, située entre les lacs de Morat, Neuchâtel et Bienne. Une zone marécageuse asséchée, très importante pour l’agriculture, puisque c’est là que sont produits la plupart des légumes suisses, mais aussi exceptionnelle du point de vue de la biodiversité.
Cinq espèces ciblées en priorité
Depuis 2015, l’association BirdLife Suisse y mène un projet de conservation dédié à cinq espèces spécialement menacées. «Nous nous sommes focalisés sur des oiseaux liés aux milieux cultivés, dont la population a fortement diminué et qui subsistent encore dans le Grand-Marais: le vanneau huppé, la chevêche d’Athéna, l’alouette des champs, la fauvette grisette et le bruant proyer», explique Sarah Delley, chargée de projets chez BirdLife Suisse. Pour chaque espèce, des actions concrètes de protection spécifiques ont été mises en place.
Ces mesures visent à freiner le déclin dramatique des populations d’oiseaux, qui touche particulièrement les zones agricoles. En cause, principalement l’uniformisation des cultures et l’utilisation de pesticides et d’engrais chimiques. Deux études annonçaient dernièrement une diminution d’un tiers des oiseaux des campagnes françaises en dix-sept ans. Une disparition massive a également été observée en Suisse. «Pour une bonne partie, cela s’est produit il y a vingt ans, voire quarante ans déjà, indique Raffael Ayé, coordinateur du projet. Les effectifs du bruant proyer par exemple ont subi une baisse de 80% depuis les années 1990. Il ne subsiste qu’une centaine de couples, dont un quart vivent dans le Grand-Marais. Globalement, on observe aujourd’hui une stabilisation à un très faible niveau. Presque 40% des espèces d’oiseaux nicheurs sur sol helvétique restent menacées.»
Dans le cas du vanneau huppé, la population est passée d’environ 1000 couples dans les années 1970 à, à peine, une centaine il y a quinze ans. D’après le biologiste, «depuis leur nid posé à même le sol, ces animaux ont besoin de voir les alentours pour échapper aux prédateurs. Il leur faut des terrains où la végétation pousse lentement au printemps, donc non fertilisés.» Autant dire une denrée rare.
Une fois que l’emplacement adéquat a été déniché, d’autres facteurs peuvent encore nuire à l’oiseau. «Pour la colonie établie dans le Grand-Marais, nous avons mis en place des mesures de protection, en contactant l’agriculteur propriétaire du terrain où les vanneaux se sont installés, déclare Sarah Delley. Il a accepté d’adapter ses méthodes d’exploitation de la parcelle.» Bonne nouvelle, les oeufs et les jeunes oisillons ne seront pas écrasés par les machines agricoles. «Une deuxième mesure visera à les protéger des prédateurs terrestres principalement des renards, en installant des clôtures électriques», poursuit-elle.
Ces différentes actions de protection se sont avérées efficaces: «Entre 2014 et 2017, nous sommes passés de zéro à une dizaine de jeunes prêts à l’envol. Des résultats prometteurs, mais pas encore pleinement satisfaisants, relève Raffael Ayé. L’idéal serait d’atteindre le seuil d’un jeune par couple par année pour maintenir les effectifs et même faire augmenter la population.» Des actions similaires ont été mises en place dans 17 autres sites suisses. Globalement, l’effectif de vanneaux huppés est en évolution positive, avec 188 couples, c’est même le plus élevé depuis le début du siècle!
Plus loin, le biologiste nous présente une jachère florale. Un lièvre traverse en courant cet espace de 2,2 hectares. Mis en oeuvre il y a deux ans, cet espace a été semé de plantes herbacées et de buissons de roses. Un milieu favorable pour beaucoup d’espèces, mais devenu trop rare dans nos campagnes.
Opérations tous azimuts
Parmi les autres mesures mises en place, citons encore la pose de nichoirs pour pallier le manque de cavités naturelles, de pompes à eau qui assurent la présence d’insectes et invertébrés dans les zones asséchées
L’uniformisation des cultures et l’utilisation de pesticides et d’engrais chimiques sont les principaux responsables du déclin des oiseaux en Suisse
ou encore les haies, bandes herbeuses ou tas de branches, qui forment des mosaïques de structures favorables aux oiseaux.
Selon Sarah Delley, «le paysage agricole suisse manque d’espaces dédiés à la nature. La biodiversité en souffre et la population ne se rend pas compte de l’ampleur du problème. Légalement, 7% de la superficie totale de chaque exploitation agricole doit être une surface de promotion de la biodiversité, mais ce n’est pas suffisant. De plus, il arrive que le type de surface mis en place ne soit pas adapté aux besoins des espèces locales. En multipliant les actions et en influençant la politique agricole, nous espérons pouvoir améliorer la situation.»
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