Le Temps

La colère d’un sniper de Tsahal

Vendredi à Genève, une cinquantai­ne d’Etats et de nombreuses ONG ont participé à une conférence pour financer l’aide humanitair­e à hauteur de 1,7 milliard afin de faire face à la très grave crise congolaise. Mais il importe de s’attaquer aux causes

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS *Prénom d’emprunt

Les autorités israélienn­es l’avaient annoncé: l’armée a reçu pour consigne de répondre avec des balles réelles au mouvement de protestati­on lancé fin mars à Gaza, et perçu comme une opération entièremen­t orchestrée par le mouvement Hamas. Nadav Weiman faisait partie d’une unité de tireurs d’élite à l’armée: «Je pensais qu’Israël ne franchirai­t jamais cette limite», explique-t-il au Temps. Il reconnaît n’avoir jamais été confronté à un tel relâchemen­t dans les règles d’engagement militaire.

La République démocratiq­ue du Congo (RDC) est engluée dans une crise humanitair­e dont on ne voit pas le bout et qui est désormais classée au même niveau que les crises du Yémen et de la Syrie. Les conflits internes se sont multipliés, mettant aux prises plus de 200 groupes armés.

Réunis au Palais des Nations à Genève vendredi pour une conférence humanitair­e consacrée à la RDC, une cinquantai­ne d’Etats membres et des ONG ont cherché à obtenir des promesses de financemen­t à hauteur de 1,7 milliard de dollars pour répondre aux besoins humanitair­es qui ont explosé notamment dans les provinces du Kasaï, du Nord et du Sud-Kivu ainsi qu’en Ituri. Ces besoins «ont doublé en un an. En 2017, les personnes nécessitan­t une aide humanitair­e se chiffraien­t à 7,3 millions. Cette année, elles sont 13 millions», souligne le responsabl­e onusien Mark Lowcock, alors que la population totale du pays s’élève à 94 millions d’habitants.

En décembre 2017, la RDC a battu un triste record avec 4,5 millions de déplacés internes. Plus de 700000 réfugiés ont fui le pays dont 50000 en Angola, 300000 en Ouganda et 85000 au Rwanda. 2,2 millions d’enfants souffrent de malnutriti­on sévère. Sigrid Kaag, ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas, qui parrainaie­nt la conférence, l’a martelé: la RDC est une «crise oubliée» qui mérite davantage d’attention. «On ne compte plus les femmes et filles victimes de violences sexuelles, de viols multiples.»

Mark Lowcock s’est dit surpris par les promesses de dons qui atteignent déjà 530 millions de dollars: «Quinze Etats ont promis des contributi­ons bien supérieure­s à 2017.» Cet optimisme se manifeste alors qu’une certaine fatigue des donateurs s’est fait jour l’an dernier. Il contraste aussi avec les tensions politiques que la conférence a suscitées. Bien que l’appel de fonds de 1,7 milliard ait été lancé à Kinshasa en janvier, le gouverneme­nt de Joseph Kabila a boycotté le rendez-vous genevois. Motif: pour lui, il n’y a pas de crise humanitair­e.

ONG menacées

Le ministre congolais des Affaires étrangères, Léonard She Okitundu, a dénoncé la descriptio­n de la situation par les Nations unies, estimant qu’elle est «contre-productive pour l’image de marque et l’attractivi­té (du) pays, et agit comme repoussoir pour les investisse­urs potentiels». Vendredi, il est allé plus loin, déclarant que toute ONG qui accepterai­t des fonds débloqués par la Belgique en subira les conséquenc­es: «Les ONG qui recevront cet argent ne seront pas autorisées à travailler dans notre pays.» Dans un tweet au vitriol, le millionnai­re congolais Moïse Katumbi, qui avait lancé sa candidatur­e pour succéder à Kabila en juin 2017 à Genève, condamne l’attitude de Kinshasa: «Ce régime sacrifie des millions de Congolais pour tuer en silence, pour ne pas avoir de comptes à rendre à ceux qui veulent assister notre population qui souffre.»

John*, qui oeuvre à la paix en RDC depuis près de trente ans, a fait le déplacemen­t de Genève. Il salue la bonne volonté des participan­ts, mais n’en critique pas moins la finalité. «On arrose le pays d’argent, mais on ne s’attaque pas au fond des problèmes. On soigne les symptômes et on voit que cette approche ne marche pas, mais on la reprend chaque année. Or c’est au niveau des communauté­s qu’il faut chercher à agir en négociant un partage équitable des ressources et du pouvoir entre groupes ethniques.» Pour John, il y a un grave problème structurel, à commencer par l’absence de l’Etat. «Il faut un minimum d’administra­tion qui fonctionne afin que la population retrouve confiance en elle. Et il faut surtout décentrali­ser, s’orienter vers un Etat fédéral. Sans quoi, le pays restera ingérable.»

«Cette approche ne marche pas, mais on la reprend chaque année»

UN MILITANT ANONYME

Contrôler le territoire

Le cercle vicieux, explique John, est que chaque groupe ethnique essaie de mettre la main sur le poste de gouverneur de province, de chef de territoire ou de chef coutumier. C’est une manière d’accéder aux ressources naturelles du pays et surtout au pouvoir central de Kinshasa. Il faut donc contrôler le territoire pour accéder aux ressources. C’est ce qu’a fait la milice M23, profitant du sentiment d’exclusion des Tutsis en RDC pour envahir le Nord et le Sud-Kivu. «En RDC, il y a une multitude de mini-M23», ironise John. Au Kasaï, fief historique de l’opposition, Kinshasa a placé un gouverneur hostile. Face au mécontente­ment, le gouverneme­nt réprime à tout va.

Des élections prévues pour le 23 décembre, soit deux ans après les accords de la Saint-Sylvestre, seront-elles une solution à la crise congolaise? John n’y croit pas une seconde. «Si on remplace Joseph Kabila, on ne changera rien à la situation. Elle sera juste un peu plus stable pour un moment. Les conditions ne sont pas remplies pour tenir des élections crédibles.» John se dit «déprimé» face à la situation. La RDC, où est toujours déployée la plus grande opération de maintien de la paix de l’ONU, est, selon Human Rights Watch, le pays ayant connu le conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale avec six millions de morts liés aux troubles recensés ces deux dernières décennies.

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(THOMAS MUKOYA/REUTERS) Enfant atteint de malnutriti­on dans la province du Kasaï oriental.

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