«Toutes les religions doivent se soumettre à la démocratie»
MOHAMED HAMDAOUI Musulman laïque, le député au Grand Conseil bernois vient de faire adopter un postulat incitant les communautés religieuses à signer une charte dans laquelle elles s’engagent à respecter l’ordre juridique suisse. Il explique son combat co
Né en 1964 en Algérie, arrivé à Bienne à l’âge de 3 ans, le député socialiste au Grand Conseil bernois Mohamed Hamdaoui est une voix qui porte dans le débat sur l’islam. Pour ce musulman laïque, «la foi n’a pas à dicter sa loi». Rencontre.
Vous êtes un Touareg du Hoggar venu en Suisse pour des raisons de santé, puis vous avez grandi à Bienne. Où sont vos racines? Elles se situent à la fois en Algérie et à Bienne. Je suis arrivé en Suisse à l’âge de 3 ans en 1967 pour y être soigné de la polio. J’y ai ensuite été élevé par une ouvrière d’usine, une mère célibataire qui travaillait dans l’horlogerie et qui oeuvrait bénévolement pour Terre des hommes. Je suis né dans une famille de Touaregs en Algérie, où j’ai douze frères et soeurs. Je suis marqué par cette culture: l’oeuvre de l’écrivaine Assia Djebar, la musique raï, le groupe de femmes DjurDjura. Et puis bien sûr, je me sens Biennois, soit le citoyen d’une ville multiculturelle qui a conservé une identité ouvrière.
C’est l’origine de votre engagement au Parti socialiste? Je me souviendrai toujours d’une anecdote. Après l’école, dans les années 1970, j’allais souvent faire mes devoirs à l’usine où travaillait la femme qui m’élevait. Un jour, j’ai été surpris de la trouver dans une colère noire. Elle venait d’apprendre que son collègue d’atelier plutôt paresseux touchait un salaire beaucoup plus élevé qu’elle. C’est aussi elle qui m’a emmené aux défilés du 1er Mai, lors de la Fête du travail. J’y ai appris mes premiers mots d’italien: «Avanti popolo»…
En France, un Algérien est souvent stigmatisé d’emblée. Et en Suisse? La situation n’est en rien comparable. En France, il y a un passé colonial qui n’a jamais été soldé, un passé source de tensions et de rancoeurs qui subsistent encore aujourd’hui. Rien de tout cela en Suisse où la relation entre les deux pays est sereine, grâce notamment à des personnalités comme CharlesHenri Favrod, qui a joué un rôle de facilitateur lors des négociations d’Evian, en 1962, ayant abouti à l’indépendance de l’Algérie.
Bienne est une ville très fière de son bilinguisme, mais les Romands minoritaires s’y sentent parfois défavorisés. C’est aussi ce que vous ressentez? Au niveau du bilinguisme, c’est une ville plutôt à la pointe concernant les infrastructures publiques. Il y a davantage de problèmes dans l’économie, où les Romands devront toujours faire un effort supplémentaire pour s’imposer. En revanche, je me fais davantage de souci à l’échelle du canton de Berne, surtout après le départ de la ville de Moutier dans le Jura. Au Grand Conseil, nous ne recevons parfois que des documents en allemand. Je suis d’autant plus inquiet qu’avec la retraite politique de Bernhard Pulver, nous perdons le dernier avocat de la francophonie au sein du gouvernement.
Il y reste pourtant Pierre Alain Schnegg, le titulaire du siège réservé au Jura bernois! J’espère que durant la prochaine législature, il va enfin devenir un ardent défenseur des francophones. Mais jusqu’ici, il ne s’est pas battu pour eux et j’avoue que je ne crois plus à ce miracle. Lorsque l’ensemble de la députation francophone avait demandé la garantie que les patients romands puissent être soignés dans leur langue dans les hôpitaux publics de Bienne et de Berne, il avait répondu que l’important n’est pas d’être soigné en français, mais bien soigné. En tant que minoritaire dans ce canton, j’ai parfois l’impression d’être un don Quichotte.
Bienne abrite quelques mosquées radicales, comme celle d’Ar’Rahman où prêchait l’imam Abu Ramadan. Peut-on en déduire que cette ville est une «Molenbeek suisse»? Cette comparaison, c’est n’importe quoi! Peut-on citer un seul terroriste biennois ayant commis un attentat? Non! Personnellement, je suis allé à Bruxelles avec un cousin algérien en 2014. Un peu par hasard, nous sommes sortis du métro à Molenbeek. Mon cousin s’est alors exclamé: «Mais ici, c’est Alger, pas la Belgique!» Il n’y a pas de tel «ghetto ethnique» – une expression que je déteste – à Bienne, qui a réussi à préserver la mixité sociale. Bienne compte 30% de résidents de nationalité étrangère, mais elle est parvenue à les intégrer.
Votre plus grand combat désormais, c’est la reconnaissance des musulmans de Suisse dont la plupart sont modérés et bien intégrés, mais dont on n’entend jamais la voix. Pourquoi? Une des raisons majeures de mon engagement a été l’initiative anti-minarets approuvée par le peuple suisse en 2009. Le jour même du dépôt de cette initiative, le Conseil fédéral avait rédigé un communiqué pour demander à la communauté musulmane de ne pas jeter de l’huile sur le feu. Résultat des courses: tout le monde s’est tu et on a perdu. Beaucoup de Suisses ont voté avec dans la tête tous les clichés qui collent aux musulmans: l’homme barbu, la femme voilée et ces parents qui demandent à l’école publique des dérogations pour des motifs religieux. Or ces musulmans-là ne sont qu’une infime minorité!
Etes-vous devenu un porte-parole autoproclamé de cette majorité silencieuse? Non! Mais il est nécessaire qu’il y ait des gens montrant qu’on peut être des individus et des citoyens suisses avant d’être des musulmans. C’est la raison pour laquelle je n’adhérerai jamais à une quelconque fédération de musulmans. Je considère que les lois humaines priment sur les règles divines.
Encore tout récemment, au Grand Conseil bernois, vous avez raconté l’épisode de cette femme kabyle dont vous étiez amoureux et qui refusait de porter le voile. Elle a été enlevée par des islamistes et retrouvée décapitée. Est-ce ce drame qui a marqué votre engagement? (Il montre furtivement une photo de cette femme sur son téléphone portable.) Oui. Longtemps, je n’ai pas pu regarder cette photo, que j’avais sur une diapositive de mes vacances en Algérie. J’avais deux options: ou bien éprouver de la haine pour les islamistes qui ont commis ce crime. Ou bien décider de me battre pour éviter que
d’autres personnes ne soient victimes d’un tel drame. J’ai choisi la deuxième option.
Vous venez de faire passer un postulat au Grand Conseil en faveur d’une «charte religieuse». Est-ce que l’islam est compatible avec la démocratie?
C’est une question absurde. Pour moi, toutes les religions doivent se soumettre à la démocratie. La foi n’a pas à dicter sa loi. C’est valable pour toutes les religions. Dans la charte que nous proposons, tous les centres de prière doivent accepter la primauté du juridisme suisse, à commencer par le respect de l’égalité hommes-femmes et le rejet de l’homophobie. Ils doivent aussi s’engager à faire preuve de transparence quant à leur financement. Chaque centre religieux est libre de signer ou non cette charte. Mais s’il la signe, il se doit de la respecter comme si c’était un pacte de confiance avec la population. Sinon, il s’expose à des sanctions. L’idée est de séparer le bon grain de l’ivraie dans toutes ces communautés religieuses.
Ce même Grand Conseil bernois a rejeté de justesse une motion visant à contrôler régulièrement tous les imams prêchant dans le canton. Vous sentez-vous parfois instrumentalisé par la droite dure dans votre combat? Le risque existe, bien sûr. L’UDC a voté contre mon postulat avant de soutenir sa motion, que j’ai combattue. On ne peut pas bafouer nos valeurs démocratiques en surveillant les imams de manière arbitraire et discriminatoire. La lutte contre l’islamisme radical est une chose trop sérieuse pour la confier aux populistes et aux piliers de bistrot.
En novembre 2017, vous avez organisé une «Landsgemeinde» musulmane, mais peu de gens sont venus. Ne prêchez-vous pas tout seul dans le désert?
Nous avons un peu improvisé cette action à la dernière minute. Parmi ceux qui ont participé à cette opération, je reconnais que certains avaient des réflexes communautaristes, plaçant la religion au-dessus du droit. Mais je ne me sens pas seul dans ce combat. Je suis heureux d’avoir obtenu cette charte. J’ai été très ému, j’en ai même pleuré.
Vous avez écrit une lettre ouverte très dure à Tariq Ramadan, accusé de viol. Et la présomption d’innocence?
La question judiciaire n’est pas primordiale selon moi. Je n’ai jamais douté du double langage de ce personnage prônant parfois la haine de l’Occident tout en étant capable d’édulcorer son discours selon les publics. J’aimerais que certains, à gauche, admettent qu’il a toujours été un usurpateur, un tartuffe. A la suite cette lettre, j’ai reçu des centaines de réactions venant de France sur ma page Facebook. On me demande de publier des tribunes en France, car il y a une chape de plomb sur Tariq Ramadan dans la gauche française. Il est là-bas plus difficile de tenir une parole libre. L’imam de Bordeaux, qui tient un discours normal comme moi, doit se déplacer avec des gardes du corps. Moi pas, heureusement.
L’initiative sur l’interdiction de la burqa arrive bientôt au parlement. Vous qualifiez ce vêtement de «prison ambulante». Est-ce à dire que vous êtes prêt à voter en faveur de cette initiative?
S’il n’y a pas de contre-projet, oui! J’ai discuté avec des féministes de plusieurs pays d’Afrique du Nord. Toutes me disent que j’ai de la chance de vivre dans un pays où le peuple peut se prononcer sur l’interdiction du voile intégral. Il est vrai que cette question est marginale en Suisse. Permettez-moi cette comparaison: le cancer de la langue est lui aussi très marginal, mais mortel. Est-ce une raison pour ne pas le combattre?
Martine Brunschwig Graf, la présidente de la Commission fédérale contre le racisme, estime que cette initiative cache une évidente hostilité à l’égard des musulmans.
Je la comprends très bien, elle est dans son rôle. Je sais parfaitement que les auteurs de cette initiative – le comité d’Egerkingen – sont les héritiers des années Schwarzenbach. Je suis aux antipodes de leurs idées, je fais même partie des traumatisés de ces années-là. Mais mon oui à cette initiative serait un oui de gauche, solidaire, féministe et universaliste.
Pour éviter ce scénario, vous proposez que le parlement rédige un contre-projet, mais très différent de celui ébauché par la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga.
Le contre-projet du Conseil fédéral manque totalement la cible. Il veut sanctionner les hommes qui obligeraient les femmes à porter la burqa. Mais ce délit existe déjà, il est punissable, même s’il est pratiquement impossible à prouver. Non, ce qu’il faut faire, c’est simplement transposer le texte de l’initiative, qui n’a rien à faire dans la Constitution, dans une loi. La Belgique l’a fait avec un certain succès. Le voile intégral est une atteinte à la dignité humaine, il est l’expression vestimentaire d’un l’islam politique. On ne peut pas transiger pas à ce sujet.
Le PS est très divisé sur cette question. Craignez-vous qu’il n’écarte l’initiative au seul titre qu’elle émane d’un comité proche de l’UDC? C’est une hypothèse hélas très plausible. J’ai peur d’un clivage entre la base et les élus. Il faut un débat de fond allant au-delà du politiquement correct. Je suis persuadé que la gauche est en partie responsable de la montée de l’islamisme en Occident car elle a occulté ce débat au motif d’éviter de favoriser la montée de l’extrême droite. Elle risque fort de perdre sur les deux tableaux. L’extrême droite ne cesse de progresser. Et ce débat sur l’islam est plus présent que jamais dans la population.