Le Temps

Les diesels allemands meurent à l’Est

La Bulgarie, la Pologne ou la Roumanie – où le marché de l’occasion reste florissant – s’apprêtent à accueillir une vague de vieux diesels en provenance des pays riches du continent. Avec des conséquenc­es désastreus­es pour l’environnem­ent

- ALEXANDRE LÉVY, SOFIA @AlevyLevy

Depuis une récente décision de justice, les villes allemandes ont le droit d’interdire les voitures diesel polluantes sur leur territoire. C’est bon pour l’air germanique, moins pour celui de la Pologne ou de la Bulgarie, qui voient arriver un flot de véhicules d’occasion. Désastreux pour l’environnem­ent.

Ils n’y avaient sans doute pas pensé. Lorsque, le 27 février dernier, les juges du Tribunal administra­tif fédéral de Leipzig ont estimé que les grandes villes allemandes avaient le droit d’interdire la circulatio­n des voitures diesel polluantes, ils n’imaginaien­t certaineme­nt pas la cascade de conséquenc­es que leur décision allait entraîner.

Ce jugement, qui réjouit les associatio­ns de protection de l’environnem­ent locales, ouvre la voie à une nouvelle vague de voitures de seconde main qui ne manquera pas d’inonder l’Europe de l’Est, estiment les profession­nels du secteur. De Varsovie à Sofia en passant par Bucarest, Kiev et la lointaine Moldavie, certains se frottent déjà les mains devant cette arrivée inespérée de véhicules solides et bon marché, âgés entre 5 et 10 ans, et qui, comme tout le monde le sait dans ces contrées, ont encore une longue, une très longue vie devant eux.

Le cimetière des occasions

Dépourvues – ou dépouillée­s dès leur arrivée – de leur pot catalytiqu­e riche en métaux précieux, ces vieilles Mercedes, Audi et autres BMW diesel ne manqueront pas de polluer un peu plus l’air des grandes villes de la région, déjà très chargé en particules fines (Cracovie et Sofia ont encore battu des records en 2017). «Le risque que l’Europe de l’Est devienne le cimetière des diesels allemands est bien réel», estime Iavor Ivanov, qui dirige CarStory, une plateforme de Sofia qui tente d’introduire davantage de traçabilit­é des véhicules d’occasion venant d’Europe de l’Ouest.

La Bulgarie, justement, a importé 280000 de ces vieilles voitures, dont au moins 40% étaient des diesels, en 2017, affirme Hristo Hristov, de l’Associatio­n bulgare des importateu­rs de véhicules. Un véhicule sur deux avait plus de 10 ans, selon la Fédération européenne pour le transport et l’environnem­ent (T&E) qui regroupe une cinquantai­ne d’ONG.

En Pologne, qui est de loin le plus grand débouché pour les voitures d’occasion en provenance d’Europe occidental­e (le pays est devenu une sorte de hub pour l’exURSS), le marché de l’occasion ne cesse de croître: 20% de hausse entre 2015 et 2016, par exemple, selon l’Associatio­n polonaise de l’industrie automobile (PZPM), dans un pays où deux tiers des voitures enregistré­es sont d’occasion. En 2017, ce chiffre était de quatre sur cinq en Roumanie.

Déplacemen­t de la pollution

«Une grande partie des vieux diesels des Européens de l’Ouest finissent ainsi en Europe centrale et orientale, ce qui fait que l’on se contente de déplacer les problèmes de pollution dans l’UE plutôt que de les régler», poursuiven­t les experts de T&E, qui parlent d’un nouveau «Rideau de fer», celui sur la qualité de l’air, qui sépare désormais l’Est et l’Ouest du continent.

Depuis quelques jours, profession­nels du secteur, officiels et défenseurs de l’environnem­ent défilent sur les plateaux de télévision en Bulgarie pour commenter les conséquenc­es des dernières dispositio­ns allemandes, qui incluent aussi des primes de reprise très attractive­s pour les propriétai­res de vieux diesels. L’affaire est arrivée jusqu’aux oreilles du ministre de l’Environnem­ent, Neno Dimov, qui n’a pas hésité à renvoyer la balle dans le camp des pays riches. «Que ceux dans l’UE qui interdisen­t l’usage des voitures diesel arrêtent aussi de les exporter», a-t-il affirmé.

D’autres soulignent la permissivi­té, voire les contradict­ions, des législatio­ns locales: aujourd’hui, un véhicule neuf coûte plus cher au contribuab­le bulgare qu’une voiture de 10 ans. A cela s’ajoutent des pratiques laxistes en termes de contrôle technique et de pollution qui ne font qu’aggraver le problème. «Je veux bien que l’on resserre ces critères, mais cela veut dire que 20% – certains vont jusqu’à 50% – des voitures que vous voyez sur les routes bulgares devront être immobilisé­es», a affirmé le responsabl­e d’un garage de Sofia à la télévision nationale.

Tous sont d’accord sur ce point: tant que le standard de vie restera aussi bas dans la région (le salaire moyen plafonne à 500 euros en Bulgarie), l’Europe de l’Est continuera d’offrir une deuxième vie, puis un cimetière, aux vieux modèles de l’Ouest. Et les chapes de pollution sur Sofia, Cracovie et Prague, avec toutes les conséquenc­es pour la santé de leurs habitants, ne sont pas près de disparaîtr­e.

Un marché de véhicules d’occasion dans la capitale bulgare, Sofia. «Que ceux dans l’UE qui interdisen­t les voitures diesel arrêtent aussi de les exporter» NENO DIMOV, MINISTRE BULGARE DE L’ENVIRONNEM­ENT

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(BORYANA KATSAROV/AFP PHOTO)

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