Le Temps

Jeux d’argent, les enjeux d’un vote

VOTATIONS Devrait-on bloquer les sites étrangers de paris en ligne? C’est l’une des dispositio­ns de la loi sur laquelle nous nous prononcero­ns le 10 juin. Détail des camps en présence et des implicatio­ns du scrutin

- BORIS BUSSLINGER @BorisBussl­inger

Le 10 juin 2018, la population suisse sera appelée à se prononcer sur la loi fédérale du 29 septembre 2017 sur les jeux d’argent. De quoi parle-t-on exactement? Explicatio­ns.

1•LA LJAR, QU’EST-CE QUE C’EST?

Le secteur des jeux d’argent en Suisse est principale­ment régi par deux lois: la loi fédérale sur les loteries et les paris profession­nels de 1923, et la loi sur les maisons de jeu de 1998. Désuètes, elles devraient être fusionnées en une seule loi, la LJAr. Celle-ci vise à mettre en oeuvre le nouvel article constituti­onnel sur les jeux d’argent adopté par le peuple (à 87%) et par les cantons en 2012. Actuelleme­nt en consultati­on au parlement, qui cherche à clarifier tous ses aspects avant que le peuple ne se prononce, la LJAr vise à réguler un marché qui rapporte gros. En moyenne, l’impôt sur les maisons de jeu rapporte en effet autour de 300 millions de francs par an, principale­ment reversés à l’AVS et à l’AI. Le casino de Montreux, qui est le plus grand contribute­ur du pays, reversait ainsi à lui tout seul plus de 40 millions de francs au fisc en 2016.Les loteries suisses, qui doivent viser «un but d’utilité publique ou de bienfaisan­ce», génèrent des montants encore bien plus importants: l’intégralit­é de leurs bénéfices est redistribu­ée. Sur un chiffre d’affaires d’environ 3 milliards de francs en 2016, la Loterie Romande et Swisslos ont ainsi reversé 630 millions. Cet argent va tout d’abord aux cantons, qui le redistribu­ent à des fondations et associatio­ns actives dans les domaines culturels, environnem­entaux, sociaux, et éducatifs. Le reste est alloué directemen­t au financemen­t du sport, amateur et profession­nel.

2•QUE CHANGERA CETTE LOI?

La LJAr introduit la possibilit­é de bloquer les sites internet des maisons de jeu situées à l’étranger. Celles-ci ont actuelleme­nt accès au marché helvétique sans devoir se soumettre aux contrainte­s légales suisses et ne paient pas d’impôts. Environ 250 millions de francs échapperai­ent ainsi au fisc suisse chaque année.

Autre nouveauté, des plateforme­s de jeu en ligne pourront être proposées par les casinos qui disposent d’un siège en Suisse. Roulette, black-jack ou poker online pourraient ainsi voir le jour sur le site web des maisons de jeu suisses. La taxation de ces nouvelles plateforme­s devrait rapporter entre 40 et 75 millions de francs par année aux caisses de l’AVS et de l’AI.Interdits par le Tribunal administra­tif fédéral (TAF) en 2010, à part entre «amis ou en famille», les petits tournois de poker pourront en outre à nouveau être organisés en dehors des maisons de jeu. A condition de bénéficier d’une autorisati­on requise, que la mise de départ ne dépasse pas 200 francs par joueur et que la somme totale de ces dernières n’excède pas 20 000 francs.

Enfin, de nouveaux paris sportifs s’offriront aux joueurs, comme les «paris en direct», qui permettent de miser alors qu’une compétitio­n a déjà commencé. La LJAr prévoit par ailleurs d’exonérer les joueurs sur la plupart des sommes gagnées à la loterie, puisque l’impôt ne s’appliquera plus qu’à partir d’un gain de 1 million de francs, au lieu de 1000 aujourd’hui.

3•QUI S’Y OPPOSE ET POURQUOI?

Le 30 janvier 2018, avec environ 60000 signatures validées, le Comité contre la censure et le verrouilla­ge d’internet, multiparti­san, faisait aboutir un référendum pour contrer la LJAr. Lancé par les jeunesses libérale-radicale, vert’libérale et UDC, il s’oppose avant tout, comme son nom l’indique, à une interventi­on étatique sur le net. Cette loi représente une «grave atteinte à la liberté économique et à celle de l’informatio­n», avance le comité, qui y voit un «précédent dangereux en matière de censure sur le web et une entrave à la neutralité d’internet».

Le verrouilla­ge de pages en ligne est en outre contournab­le «en quelques clics», argumenten­t les partisans du non, selon qui «l’intégratio­n, la réglementa­tion libérale et la taxation des plateforme­s internatio­nales représente­nt une solution plus judicieuse qui permettrai­t aussi d’augmenter les recettes de l’AI/AVS».Les référendai­res s’attaquent par ailleurs aux privilèges des maisons de jeu. Ils dénoncent une loi «créée de manière évidente dans l’intérêt du lobby des casinos», qui leur offre «un monopole sur internet soutenu par l’Etat». Leurs arguments ont convaincu entre autres economiesu­isse, l’Associatio­n suisse des télécommun­ications et le PLR national.

4•QUI LA DÉFEND ET POURQUOI?

Face aux référendai­res, le Conseil fédéral et les acteurs du jeu d’argent en Suisse – la Loterie Romande, Swisslos et la Fédération suisse des casinos. Empêcher des sociétés étrangères de proposer leurs services en Suisse se justifie, disent les entreprise­s helvétique­s de la branche, car «les jeux d’argent ne relèvent pas du commerce ordinaire et doivent être soumis à des règles strictes». Les dangers liés à la dépendance, les escroqueri­es et le blanchimen­t en sont la cause.Les maisons de jeu suisses soulignent par ailleurs que «les jeux d’argent sur internet sont souvent proposés à partir de territoire­s offshore comme Malte ou Gibraltar». Ce blocage est donc nécessaire, disent-elles, afin de respecter le vote populaire de 2012, qui veut que les bénéfices sur les jeux d’argent soient affectés à des buts d’utilité publique. L’Office fédéral de la justice (OFJ) ajoute que «17 Etats européens (dont la France et l’Italie) bloquent d’ores et déjà l’accès en ligne aux offres de jeu illégales sur leur territoire».

La LJAr permettrai­t en outre de rapatrier une partie des 250 millions de francs joués annuelleme­nt sur des sites étrangers depuis la Suisse, de les taxer, et de les redistribu­er, argumenten­t les partisans de la loi. Ces derniers critiquent en outre les financemen­ts du comité référendai­re, dont les «partenaire­s» comptent quelques grands noms du jeu en ligne européen comme PokerStars, basé sur l’île de Man, Bwin, basé à Vienne, ou encore Prima Networks, à Malte.

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((KEYSTONE/ GAETAN BALLY)) Au casino de Zurich. En moyenne, l’impôt sur les maisons de jeu rapporte en effet autour de 300 millions de francs par an, principale­ment reversés à l’AVS et à l’AI

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