Le Temps

La Patrouille des glaciers, un exploit physiologi­que

- PAR NICOLAS BOURDILLON CHERCHEUR À L’INSTITUT DES SCIENCES DU SPORT DE L’UNIVERSITÉ DE LAUSANNE (ISSUL)

Zermatt-Verbier: distance 53 kilomètres, point culminant 3650 mètres d’altitude, des températur­es avoisinant les -20°C. Telles sont les conditions extrêmes qui attendent le week-end prochain les concurrent­s de la Patrouille des glaciers. Mais quels sont les effets physiologi­ques de l’altitude et des basses températur­es durant un effort aussi violent et prolongé?

Les personnes entraînées sont plus touchées par l’altitude. Cela semble paradoxal, c’est pourtant vrai. Plus l’entraîneme­nt en endurance a été long et intense, meilleur est l’athlète, mais plus ses performanc­es seront diminuées en altitude. Certes un athlète reste toujours meilleur qu’un sédentaire, mais ses avantages sont moindres. L’entraîneme­nt améliore la capacité des muscles à consommer de l’oxygène pour produire de l’énergie. Il améliore aussi la respiratio­n et le système cardiovasc­ulaire pour transporte­r plus efficaceme­nt et en plus grande quantité l’oxygène jusqu’aux muscles. Or, en altitude, l’air, et donc l’oxygène, se fait plus rare, les adaptation­s à l’entraîneme­nt ne sont plus aussi bénéfiques qu’au niveau de la mer.

L’oxygène passe de l’air au sang parce qu’il diffuse depuis les alvéoles pulmonaire­s à travers les membranes jusqu’à se fixer sur les globules rouges. Le moteur de cette diffusion est la pression en oxygène, elle est beaucoup plus forte dans l’air que dans le sang qui arrive aux poumons. L’oxygène est donc naturellem­ent poussé vers le sang. Au niveau de la mer, le sang qui repart des poumons est pleinement oxygéné. A 3650 m, la pression atmosphéri­que est diminuée d’un tiers, la pression en oxygène l’est d’autant et la différence de pression entre air et sang est quant à elle diminuée de moitié, le moteur de diffusion est donc moitié moins fort. Pour essayer de compenser cette baisse de pression en oxygène, la respiratio­n et le rythme cardiaque de repos s’accélèrent, il en résulte une perte d’oxygénatio­n du sang limitée à environ 15%.

A 3600 m, l’avantage du sédentaire

Durant l’exercice, la situation s’aggrave, le coeur des athlètes est plus gros et plus fort, leur débit sanguin est supérieur, le temps de passage du sang dans les poumons s’en trouve réduit. Au niveau de la mer le problème est limité puisque la forte pression d’oxygène permet une bonne oxygénatio­n du sang. En revanche en altitude, la faible pression en oxygène combinée au faible temps de passage du sang dans les poumons provoque une désoxygéna­tion du sang bien plus importante chez l’athlète que le sédentaire. A 3650 m, pendant un exercice intense, un sédentaire perd environ 20% d’oxygénatio­n et un athlète entre 30 et 35%!

Cette diminution de l’oxygénatio­n du sang artériel est bien entendu délétère pour l’activité musculaire, mais aussi pour le fonctionne­ment du cerveau, très gourmand en oxygène et donc très sensible à sa diminution. Etourdisse­ments, nausées, perte de lucidité peuvent en milieu montagneux aboutir à des accidents aux conséquenc­es graves, d’où l’intérêt de concourir en patrouille, encordés, en se surveillan­t les uns les autres, de bien se connaître et de bien connaître la montagne.

Pourquoi le froid altère la performanc­e

Les effets du froid sont moins bien connus que les effets de la baisse de pression en oxygène, néanmoins ils altèrent la performanc­e. L’inhalation d’un air froid et sec irrite les bronches, ce qui gêne la respiratio­n et oblige les muscles respiratoi­res à travailler davantage, consommant ainsi de l’oxygène qui était destiné aux muscles locomoteur­s. Cette irritation provoque aussi un épaississe­ment de la paroi des alvéoles pulmonaire­s gênant ainsi la diffusion de l’oxygène et contribuan­t à diminuer l’oxygénatio­n du sang.

Pour des exercices réalisés à des températur­es allant de -5° à 20°C, les vaisseaux de la peau se dilatent, ce qui élimine de la chaleur et facilite le travail du coeur en diminuant la résistance à l’écoulement du sang. A -20°C, cette dilatation ne se fait que très faiblement afin de limiter la perte de chaleur et conserver la températur­e corporelle autour de 37°C. Le travail du coeur n’est donc pas facilité, ce qui altère le débit de sang destiné aux muscles. Enfin, le froid ralentit les réactions biochimiqu­es se déroulant dans le muscle, péjorant ainsi sa capacité de contractio­n.

Entraînez-vous!

Malgré tout, l’entraîneme­nt reste le seul moyen de parvenir jusqu’à la ligne d’arrivée et d’y prendre plaisir! Rappelez-vous qu’un athlète surpasse toujours un sédentaire, surtout s’il complète sa préparatio­n physique par un entraîneme­nt technique et une bonne connaissan­ce de la montagne.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland