Le Temps

Zurich-Lugano, finale entre meilleurs ennemis

- QUENTIN JEANNERAT, À LUGANO @Q_Jeannerat

Les deux équipes gardent de leur dernier affronteme­nt pour le titre de champion, en 2001, une rivalité tenace qui donne à leurs retrouvail­les l’odeur du soufre. Zurich a pris l’avantage au Tessin avant d’accueillir le deuxième match ce samedi

«En play-off, les séries contre Berne sont toujours chaudes. Mais contre Zurich, c’est encore un ton en dessus.» A quelques heures du premier match de la finale du Championna­t de Suisse de hockey sur glace (National League), Flavio Viglezio, chef de la rubrique sport du Corriere del Ticino et fin connaisseu­r du HC Lugano, s’attend à des étincelles. «Il n’y a que le derby contre Ambri qui déchaîne plus les passions, mais financière­ment, et donc sportiveme­nt, les Léventins ne sont plus de vrais rivaux depuis longtemps…» Alors les Lions sont devenus les meilleurs ennemis des Tessinois.

L’animosité entre Luganais et Zurichois date d’une petite vingtaine d’années. Entre 2000 et 2004, ils s’affrontent chaque saison en play-off, les deux premières fois en finale, les trois suivantes en demie. La tension culmine en 2001, lorsque Zurich s’impose en prolongati­on lors du septième match à la Resega, provoquant la fureur de certains fans locaux. Ils saccagent leur propre patinoire et empêchent la remise du trophée en envahissan­t la glace, après y avoir lancé tout ce qui leur passait sous la main.

Show à l’américaine

«Toute la série avait été très tendue, et pas qu’en tribunes. Sur la glace, les sales coups se multipliai­ent, les décisions arbitrales étaient sans cesse contestées. La rivalité était aussi géopolitiq­ue: c’était Zurich, l’équipe de la grande ville, qui remettait enfin à sa place le club périphériq­ue aux mains d’un propriétai­re milliardai­re [la famille Mantegazza]», se remémore Flavio Viglezio.

Depuis ces années de braises, les deux équipes ont rarement brillé en même temps. Il n’y eut plus de finale entre elles depuis 2001. Si le dernier titre zurichois date de 2014, les Luganais attendent un nouveau sacre depuis 2006. Au Tessin, l’impatience se fait sentir. Mais personne, ni joueurs ni supporters ni observateu­rs, n’y croyait cette année, après une saison régulière bouclée au quatrième rang. L’improbable come-back réussi face à Bienne en demi-finales (de 0-2 à 4-2 dans la série) et le nom de l’adversaire en finale ont bien changé les choses. Aujourd’hui, redevenir champions de Suisse est un objectif assumé par tout le monde.

Ces ambitions nouvelles sont confirmées par l’animation de la tribune nord de la Resega, déjà pleine 45 minutes avant la rencontre pour saluer l’arrivée de son équipe sur la glace pour l’échauffeme­nt. Et les enceintes crachent un hard-rock assourdiss­ant. L’avant-match est aussi l’occasion d’un show à l’américaine comme seul le hockey ou presque sait en offrir en Suisse: jeux de lumière, flammes de deux mètres encadrant l’entrée des joueurs et speaker électrisan­t l’arène archi-comble (7200 spectateur­s, guichets fermés).

Au coup d’envoi, les ultras locaux recourent à la métaphore pour souhaiter la bienvenue à leurs meilleurs ennemis: un tifo géant montre un chasseur aux couleurs tessinoise­s ajustant de sa carabine l’emblème des ZSC Lions. Sa place est réservée sur une cheminée de salon où trônent déjà deux premiers trophées, les blasons de Fribourg et Bienne, éliminés respective­ment en quarts et en demi-finales.

Leviers psychologi­ques

Le duel ne manque de petites histoires ni en coulisses, ni sur la glace, avec le retour dans les rangs zurichois d’Inti Pestoni, laissé en tribune depuis dix matches par son coach Hans Kossmann. «La raison de son retour n’est pas difficile à trouver, sourit Flavio Viglezio. Il est Léventin. Il a joué presque toute sa carrière à Ambri. Il aura donc les crocs face à Lugano.»

Ce choix stratégiqu­e du mentor zurichois résume bien la particular­ité d’une finale de play-off en hockey sur glace: une série de matches qui se jouent plus sur la motivation et la concentrat­ion que sur le talent individuel des acteurs. Jeudi, le premier acte – disputé entre le quatrième et le septième de la saison régulière – n’a pas fait exception. Des occasions de but rares. Des gardiens, Merzlikins et Flüeler, qui les annihilent avec autorité. Une discipline érigée en vertu cardinale à la relance, dans les duels et le positionne­ment défensif. Les pénalités sont rares, au contraire des pugilats qui sont autant de tentatives de prendre un ascendant psychologi­que difficile à aller chercher dans le jeu.

Sur sa glace, Lugano semble un poil plus inspiré au départ, mais Zurich répond par sa solidité impression­nante et un jeu ultra-pragmatiqu­e qui a déjà permis d’éliminer les deux premiers de la saison régulière aux tours précédents (Zoug, deuxième, en quarts et Berne, premier, en demis). Il faut attendre la fin du deuxième tiers-temps pour voir Mike Künzle inscrire l’unique but du match. C’est l’une des autres caractéris­tiques des play-off, et de leur finale tout particuliè­rement: le tableau d’affichage s’arrête souvent sur un score qui évoque plus le football que le hockey sur glace.

Malgré la perte de l’avantage de la glace, les ultras tessinois restent de longues minutes pour chanter à la gloire de leurs couleurs. Les Zurichois regagnent, eux, leurs trois bus sous les yeux de policiers en tenues de combat qui s’avèrent inutiles, le chambrage des visiteurs se limitant à quelques coups de klaxon avant de regagner l’autoroute. La série, au meilleur des sept matches, est encore longue. Un match à zéro, ce n’est assez ni pour se laisser abattre lorsqu’on perd, ni pour pavoiser lorsqu’on gagne. L’acte II aura lieu ce samedi soir à Zurich (20h15). Rien n’indique qu’il se déroulera dans un climat plus apaisé.

 ?? (SAMUEL GOLAY/KEYSTONE) ?? Le gardien de but de Lugano, Elvis Merzlikins, dépité après le match perdu par son équipe contre Zurich.
(SAMUEL GOLAY/KEYSTONE) Le gardien de but de Lugano, Elvis Merzlikins, dépité après le match perdu par son équipe contre Zurich.

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