Le Temps

Même Hollywood succombe à la séduction de la blockchain

En juin prochain, un film sortira pour la première fois sur une plateforme s’appuyant sur la blockchain. Entre autres avantages, la technologi­e pourrait mettre un terme au piratage

- LOÏC PIALAT, SAN FRANCISCO @loicpialat

Sam est un ancien pirate informatiq­ue. Il se retrouve à voler du courrier, déguisé en facteur, pour boucler ses fins de mois. Le hacker tombe sur la lettre d’une veuve et se prend d’affection pour elle pendant qu’un agent du FBI le suit à la trace. Le scénario de No Postage Necessary («Pas d’affranchis­sement nécessaire») ne va, à l’évidence, pas révolution­ner l’histoire du cinéma. Son format, du 35 mm, non plus. La façon dont cette comédie romantique sera distribuée en juin prochain aux EtatsUnis pourrait en revanche marquer une rupture dans l’industrie hollywoodi­enne.

Si le film sera disponible sur les plateforme­s habituelle­s (iTunes, Amazon) et devrait même sortir dans une dizaine de salles, il sera surtout le premier à être accessible via la blockchain grâce à Vevue. Cette applicatio­n de peer to peer (échange décentrali­sé de données) va lancer prochainem­ent sa propre cryptomonn­aie, les tokens, dont certains seront offerts à ceux qui posteront une critique du film.

La fin du piratage

«Nous sommes ravis de présenter aux cinéphiles du monde entier une façon totalement nouvelle d’expériment­er le divertisse­ment en faisant de la blockchain une chaîne de distributi­on de longs métrages», a déclaré dans un communiqué Jeremy Culver, réalisateu­r, scénariste et producteur de No Postage Necessary. Bien conscient qu’il s’agit d’un énorme coup de pub pour un film qui risquait autrement de passer inaperçu, il annonce que «puisque toutes les données résistent à la duplicatio­n, on peut imaginer un monde où les films ne seront plus piratés».

De quoi attirer l’attention du secteur. Selon la Motion Picture Associatio­n of America (MPAA), sorte de syndicat du film de Hollywood, en 2014, 710 millions de films et séries télévisées ont été partagés par des sites BitTorrent rien qu’aux Etats-Unis.

«No Postage Necessary», de Jeremy Culver, sera le premier film hollywoodi­en à être accessible via une plateforme basée sur la blockchain.

Qu’est-ce qui rend la blockchain si imperméabl­e au piratage? La technologi­e consiste en une sorte de registre public où chaque transactio­n s’ajoute à un bloc. La traçabilit­é, supposée être totale, permet ainsi au propriétai­re d’une oeuvre de repérer les utilisatio­ns illégales de sa création.

Si No Postage Necessary fait figure de première, d’autres projets sont d’ores et déjà en préparatio­n. New Frontiers, un ensemble de films de science-fiction, sortira en fin d’année. En plus d’être distribué par la blockchain, le projet a aussi été financé grâce à la cryptomonn­aie (5 millions de dollars levés). Il est produit par SingularDT­V, dont la préoccupat­ion dépasse le seul piratage.

A Hollywood, le pouvoir peut être considéré comme centralisé, c’est-à-dire aux mains de quelques gros studios. SingularDT­V et d’autres acteurs (comme la plateforme The 21Million Project) ont pour ambition de décentrali­ser le système en s’appuyant sur le réseau Ethereum. En clair, il s’agit de se passer des intermédia­ires, de la création à la distributi­on.

Contrats intelligen­ts

«Dans un nouveau monde décentrali­sé, la permission d’utiliser un travail créatif sera représenté­e par un contrat intelligen­t», explique sur le site Medium l’entreprene­ur Leonid Belyaev. «Plutôt que de passer par un tiers – un distribute­ur comme iTunes –, les détenteurs de contenus pourront adopter une variété de contrats intelligen­ts pour vendre un film ou une série directemen­t à l’utilisateu­r final», précise-t-il.

La transparen­ce de la blockchain assurerait, selon ses partisans, une plus juste répartitio­n des revenus entre chaque personne impliquée dans une oeuvre. Dans le même temps, sans intermédia­ire, les coûts baisseraie­nt. Les fondateurs de The 21Million Project affirment par exemple pouvoir diviser le budget d’un film par cinq ou six.

Présentée ainsi, la blockchain a tout d’une solution miracle. Interrogé par l’hebdomadai­re Variety, Simon Morris, vice-président de la stratégie chez BitTorrent, invite à la prudence. «Ne bâtissez pas un service uniquement parce que vous le pouvez. Faites-le parce que vous êtes sûr que quelqu’un en veut et en a effectivem­ent besoin», rappelle-t-il. Il faudra du temps pour qu’une technologi­e aussi complexe devienne une évidence auprès du grand public.

La traçabilit­é, supposée être totale, permet au propriétai­re d’une oeuvre de repérer les utilisatio­ns illégales de sa création

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(TWO ROADS PICTURE CO.)

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