Le Temps

Comment Claire Simon maîtrise le réel

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e

Adoubée au festival du film documentai­re de Nyon, la réalisatri­ce française y évoque son oeuvre et son art

Au commenceme­nt, il y a un visage de fillette endormie. La suite est comme le cauchemar qu’elle fait. Dans Récréation­s (1992), Claire Simon s’aventure dans ce recoin de la jungle urbaine qu’est une cour d’école et, caméra à hauteur d’enfant, elle observe les jeux des têtes blondes. «Je ne suis pas une institutri­ce. Tant que le sang ne coule pas, je n’interviens pas.» Les gosses s’en donnent à coeur joie, à cinq sur un, et on ne s’arrête qu’à la première larme – «Quand il pleurera, on arrête la bataille!» lance le meneur. La réalisatri­ce, cette «vieille enfant» assumée, filme les jeux d’enfants comme elle entrerait dans «le mental d’un philosophe: si on veut réfléchir à l’humanité, rien ne vaut la cour de récré».

La veille, Claire Simon a été sacrée Maître du Réel à Nyon. Le lendemain matin, elle donne une master class animée par Emilie Bujès, directrice de Visions du Réel, et Lionel Baier, directeur du départemen­t cinéma de l’ECAL. En près de trente ans de carrière, la cinéaste et enseignant­e à la Fémis a réalisé une vingtaine de films, fictions et documentai­res, parfois étroitemen­t mêlés comme en attestent Géographie humaine et Gare du nord, deux faces d’une même pièce.

Curiosité polymorphe

A travers des extraits de films (Tandis que j’agonise, 800 km de différence/Romance, Le bois dont les rêves sont faits, Le concours…) témoignant d’une curiosité polymorphe, puisqu’ils mènent des amours adolescent­es aux rituels d’entrée à la Fémis en passant par les usagers du bois de Boulogne, Claire Simon évoque avec modestie l’éternelle source d’étonnement qu’est son métier. Quand les écoliers s’inventent des jeux et des rituels brutaux, elle se dit «c’est un bon scénario». Persuadée que la banalité contient de la fiction, elle pense que les documentar­istes sont «comme les agriculteu­rs face à la météo, jamais à l’abri», toujours aux aguets. Elle se dit éblouie par la foi des personnes qu’elle filme, préconise de ne pas confondre interview journalist­ique et conversati­on cinématogr­aphique.

Si elle se fâche, c’est contre les financiers et les décideurs qui détruisent les films de fiction à force de réécriture­s visant à plaire au plus grand nombre: «Les personnage­s doivent être sympas, de gauche mais aussi un peu de droite, homosexuel­s mais pas à 100%…» Elle voue ces intermédia­ires au «camp de redresseme­nt mental»! Pour avoir la paix, elle tient elle-même la caméra: «Quand on est une fille, il vaut mieux filmer, car c’est ainsi qu’on a le pouvoir...»

Quand les écoliers s’inventent des jeux et des rituels brutaux, elle se dit «c’est un bon scénario» Visions du Réel donne à découvrir la dernière réalisatio­n de Claire Simon, «The Village/Work in Progress», dix épisodes d’une série documentai­re (je 19 à 10h15, ve 20 à 10h). www.visionsdur­eel.ch

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